La cité du Grand Roi 

(conférence prononcée au grand théâtre d’Istanbul, le 22.02.2003)
par Israël Shamir 

La neige, si abondante qu’elle bloque les cols de l’Anatolie, recouvre les rues comme d’épais tapis persans, et peint en blanc les coupoles des mosquées, des églises et des marchés de votre Ville, éternelle capitale de grands empires. Je suis venu de Jérusalem Al-Quds en passant par Moscou : ce sont là deux lieux inextricablement liés à la Seconde Rome. Il y a quelques jours, j’étais près des formidables fortifications de Jérusalem, et je lisais les inscriptions encore très nettes : la ville a été fortifiée par Soliman le Magnifique, grand sultan ottoman.

En Palestine, les vestiges du gouvernement ottoman sont visibles partout. En effet, les Ottomans furent les protecteurs du Moyen-Orient durant quatre siècles. Ils ont conquis l’Empire byzantin, mais ils ont préservé les droits et les croyances religieuses des Orthodoxes et aussi d’autres Chrétiens, bien qu’ils eussent été moins orthodoxes… Vos féroces Janissaires ont donné au Moyen-Orient une chance de se développer dans une paix relative jusqu’à l’époque contemporaine.

C’est maintenant que nous le comprenons, maintenant que l’Empire ottoman, tellement décrié, n’est plus là, maintenant que les Turcs ne protègent plus les peuples de la Terre Sainte. En effet, les Occidentaux ne sont pas venus en libérateurs du joug ottoman ; dans ma ville, Jaffa, les troupes de Napoléon ont exécuté six mille prisonniers de guerre : des Turcs, des Arabes, des Palestiniens. Ce n’était là qu’un avant-goût de l’occupation sioniste. La semaine dernière, cinquante civils innocents, femmes, enfants et hommes, Palestiniens, ont été tués par l’armée du général Sharon et ils ont rejoint leur repos éternel dans le cimetière de Gaza, près des dépouilles de milliers de soldats turcs qui défendirent vaillamment la Palestine contre l’armée britannique sous direction sioniste.

Si je suis venu jusqu’à vous via Moscou, la Troisième Rome de l’Orthodoxie, c’est afin de vous dire ceci : 
Vos voisins de l’est, musulmans et orthodoxes, Arabes et Russes, voient en vous des être humains égaux à eux et ils ont pour vous de la sympathie. Cessez donc de vous tourner vers l’Occident. Cessez de rechercher l’alliance avec l’Ouest. En Orient, vous êtes chez vous. Le grand historien russe Lev Gumilev a exalté la camaraderie d’armes entre Russes et Turcs, qui réussit à casser la déferlante des Croisades occidentales aux treizième et quatorzième siècles. A l’ère moderne, Vladimir Lénine tendit une main amicale à Mustafa Kemal (Atatürk, ndt) et il dénonça toutes les revendications russes sur la Turquie vaincue, car il attendait de la Turquie qu’elle poursuive son rôle historique de protectrice de l’Orient. C’est en cela que réside votre destin : le simple fait que vous soyez à califourchon sur le Bosphore suffit à ce que vous représentiez le lien entre l’Orient de l’Islam et l’Orient de l’Orthodoxie. L’Empire ottoman n’est plus là, mais votre responsabilité demeure. Pour reprendre les propos du Petit Prince, vous serez à jamais responsables du sort de ceux que vous avez policés.

Je n’entends nullement vous braquer contre l’Europe. Au contraire. Pourquoi l’Empire ottoman a-t-il été détruit ? Il est convenu d’en blâmer l’impérialisme européen. Mais à Gaza, près du cimetière des soldats turcs, j’en ai vu un autre, très étendu : le cimetière militaire britannique. Ils sont morts afin d’arracher la Palestine des mains des Turcs et de briser l’Empire ottoman. Leur pays, l’Angleterre, n’en retira aucun bénéfice. Leurs soldats, officiers et politiciens ont été tués sans aucune pitié par les sionistes. Quatre-vingt-douze sujets britanniques furent tués dans un attentat provoqué par celui qui allait devenir notre Premier ministre, Menahem Begin, dans le plus grave attentat terroriste jamais commis au Moyen-Orient. On comprend qu’ils aient tout fait pour favoriser la chute de l’Empire ottoman : ils voulaient se débarrasser du Berger Turc avant de pouvoir ravager son troupeau.

Aujourd’hui, leur plan est en train de se réaliser. Sur les ruines de l’Empire ottoman, que surgisse un brave nouveau monde ! Tout d’abord, l’Irak doit être détruit. Après l’Irak, l’Iran, l’Arabie saoudite, la Syrie suivront, jusqu’à ce que l’ensemble de l’ancien Empire ottoman et ses voisins, du Pakistan à l’Afrique, soient devenus une Zone d’Intérêts Spéciaux pour Israël, dans laquelle les Turcs feront la police. Ce plan a été tracé par le général Sharon il y a bien longtemps, il a été reformulé par les néoconservateurs américains sionistes Richard Perle et Douglas Feith en 1996, et voilà qu’aujourd’hui, il est soutenu par la Cabale de Wolfowitz, cette poignée d’hommes qui dirigent la politique étrangère américaine. Les juifs américains ont payé les affiches géantes qui recouvrent aujourd’hui les murs, en Israël : elles appellent à la prise du contrôle de la Mosquée Al-Aqsa, à Jérusalem. Elles préparent la destruction de la Coupole d’or du Haram al-Sharif, ce lieu où le Prophète Mahomet a rencontré Jésus Christ et où il a uni l’Islam aux précédentes Révélations de Dieu. Cela sera fait lorsque les missiles américains pleuvront sur Bagdad, pendant que les troupes américaines traverseront l’Anatolie pour aller envahir Mossoul. Et si cela advient, cela aura été possible grâce à la connivence de la Turquie, de son gouvernement dit « islamiste »…

Je suis désolés pour vous, mes amis. Vous étiez les bergers du Moyen-Orient, et aujourd’hui vous aidez les loups. Vous étiez les législateurs de tous les hommes quels qu’ils fussent ; aujourd’hui, vous êtes devenus les esclaves des adorateurs de Mammon. Vous étiez les protecteurs de l’Islam, et c’est à cause de vous qu’aujourd’hui la plus grave profanation d’un mausolée musulman risque de se produire. Votre gouvernement fait un mauvais pari : combien de dollars pourra-t-il obtenir contre le sang de ses frères arabes ? Cela amène sur vous l’opprobre : les journaux occidentaux évoquent avec mépris vos mœurs de bazar et votre mentalité de mercenaires. 

Arrêtez ! Arrêtez, Avant qu’Allah ne décide que cette Grande Cité sur le Bosphore est décidément un fardeau trop lourd pour les Turcs, comme elle l’avait été, avant eux, pour les Byzantins !

Cette guerre, que vise-t-elle ? L’intérêt d’Israël ? L’intérêt de l’Amérique ? L’occidentalisation ? Les intérêts pétroliers ? La chrétienté ? Non. Pas vraiment. Par-delà le fantôme de l’impérialisme européen, un spectre a ressurgi : le spectre de l’Empire judéo-khazar est de retour, sous la forme de l’Empire Judéo-Américain. 

Aux septième-neuvième siècles, les Khazars, un peuple turc, devinrent la chair à canon des élites juives gouvernantes. L’empire Khazar, qui bâtit sa fortune sur le commerce des esclaves, s’étendit de Kiev jusqu’à la Mer Caspienne, mais le peuple khazar ne profita en rien de sa prospérité : ils étaient les esclaves de leur caste (juive, ndt) dirigeante. Et voilà qu’aujourd’hui l’esprit de l’empire khazar est de retour… Le Président Bush n’évoque-t-il pas un Beg khazar, un gouvernant de façade, manipulé par d’autres ? Les Américains ne tireront aucun profit de leur entreprise, ni les Turcs.

En effet, cette guerre, c’est leur guerre contre l’Esprit. Et avec l’Esprit, on ne joue pas. Il y a quelque temps, un aéronef spatial américain transportant un pilote de guerre israélien participait à des préparatifs pour la guerre contre l’Irak. A neuf heures pile, il était frappé par la foudre au-dessus de Palestine, Texas. Cela ne vous suffit-il pas ? De combien d’autres signes avez-vous besoin ? La destruction du Temple de Mammon, des Tours jumelles du World Trade Center, est attribuée à groupe mythique dit d’Al-Qaida. Un an et demi se sont écoulés, et bien que les Américains aient pris le contrôle de l’Afghanistan et conduit des milliers de prisonniers vers la captivité, ils n’ont pas encore produit une seule preuve convaincante de l’existence de ce réseau. Des experts disent qu’aucun impact d’avion n’aurait jamais pu abattre les tours. N’est-ce pas là un signe de l’Esprit combattant Mammon ? Ignorée par ceux qui ne veulent pas voir, une nouvelle guerre est en cours – une guerre entre forces spirituelles.

Dans cette guerre, la Turquie devrait opter pour le bon côté.