Un seul Etat [en Palestine historique]?
Non, ce n’est pas l’apocalypse ni la fin du monde. C’est parfaitement faisable,
et c’est une évolution mutuellement profitable. Nous devrions encourager ces
Juifs nationalistes qui plaident pour un seul Etat.
Le bon virage
Par Israël Shamir
25 juillet 2010
- « Non, tu finis d’abord ta viande et tes
légumes; et tu ne sors pas le fromage de ton sandwich, il ne doit pas rester de
pain dans ton assiette ». Voilà comment nous traitons le gosse qui cherche une
échappatoire pour arriver plus vite au dessert. En prendre et en laisser, ce
sont de mauvaises habitudes, à la table familiale.
Et ça vaut pour les colons israéliens et
les nationalistes juifs aussi. Enfin, après si longtemps, ils ont commencé à
reconnaître les avantages d’un seul Etat de la Mer au Jourdain, au lieu d’un
ghetto juif et des bantoustans arabes. C’est ce que nous explique le rédacteur
d’Haaretz Noam Sheizaf dans un article justement intitulé « Fin de partie » (Endgame).
Parmi les nouveaux adeptes de l’Etat unique, on trouve le député Rubi (Reuven)
Rivlin, qui a dit : il est plus souhaitable pour les Palestiniens de devenir
citoyens de l’Etat que pour nous de partager le pays en deux » ; et
l’ex-ministre de la Défense Moshe Arens est prêt à garantir la citoyenneté
israélienne aux Palestiniens de Cisjourdanie. Ce sont des poids lourds dans la
politique israélienne, et ils sont soutenus apparemment par d’autres membres du
Likoud tels MK Tzipi Hotovely, un représentant des colons, Uri Elitzur, des
rabins comme Froman de Tekoa, et même, jusqu’à un certain point, par l’idole des
colons Hanan Porat.
Ils parlent d’offrir à 2,5 millions de
Palestiniens de Cisjordanie la citoyennenté israélienne et tous les droits
afférents. C’est un pas dans la bonne direction, que nous devrions approuver.
Certes, c’est insuffisant, mais c’est un début à prendre en compte.
Malheureusement, certains de ces juifs veulent quand même « en prendre et en
laisser ». Adi Mintz, ancien directeur général du Conseil de Yesha, voudrrait
qu’israël annexe seulement 60 % de la Judée et de la Samarie, dont seuls les 300
000 habitants palestiniens auraient la garantie de la nationalité israélienne.
C’est trop peu et trop tard. Ce schéma tiré par les cheveux n’a aucune chance
d’être accepté par les Palestiniens ni par personne, de toute façon.
« Si tu veux la terre, tu la prends avec
ses habitants » : telle était la réponse de Glubb Pasha en 1948. Commandant de
la Légion Arabe, ils fut obligé de se rendre aux Juifs dans la Vallée de l’Ara.
Les Juifs
voulaient –comme encore aujourd’hui- la terre mais sans les habitants. Il
refusa. Les Juifs transigèrent un temps, et les habitants du Wadi Ara restèrent
chez eux, reçurent la nationalité israélienne et prospérèrent. Voilà le modèle à
suivre. Autrement, ce qui restera de la Palestine, ce sera seulement des
quantités de gens bouclés dans de minuscules enclaves.
Toute la Palestine et tous les
Palestiniens qui y vivent, voilà un minimum, tout à fait réalisable. C’est
beaucoup moins que ce que les Palestiniens veulent, parce qu’ils ont raison de
vouloir voir les réfugiés revenir chez eux du Liban, de Syrie et de Jordanie.
Les Palestiniens veulent aussi récupérer leurs propriétés perdues en vertu des
lois racistes, en particulier par la loi sur les biens des absents. Mais ils
seront en bien meilleure position pour se faire entendre quand ils seront 4 ou 5
millions de Palestiniens à voter en Israël.
Même les plus accommodants et cultivés
parmi les juifs nationalistes n’ont pas envie d’inclure Gaza, parce qu’il s’agit
de très peu de terre avec des tas de Palestiniens. C’est pourtant un obstacle à
une véritable solution, mais il est probable que même l’absorption de toute la
Cisjordanie, avec le gain de la nationalité pour tous ses habitants actuels,
sera un premier pas dans la bonne direction. En même temps, la réintégration de
Gaza pourrait commencer graduellement, pour s’étendre sur un an ou deux ; à la
fin de cette étape, Gaza serait parfaitement intégrée, et ses habitants
pleinement agréés.
Est-ce que c’est possible, ou bien s’agit
une fois de plus d’une « arête sioniste fichée dans notre discours pour répandre
la confusion », comme l’écrit notre ami Gilad Atzmon ? Allons-y prudemment,
dirais-je.Un seul Etat, c’est bon pour les Palestiniens, et c’est ce que la
majorité préfèrerait, plutôt que la soi-disant indépendance sous la férule de
Mahmoud Abbas ou même d’Ismaël Haniye. Mais c’est aussi une bonne solution pour
les Juifs, pas seulement pour les Palestiniens. C’est bon pour les affaires,
c’est bon pour le demi-million de colons qui pourraient rester chez eux. C’est
bon pour les juifs orientaux qui retrouveraient leur place dans leur milieu
arabe natal. Et c’est bon pour les Russes qui sont de toute façon considérés
comme des « juifs de seconde classe ». C’et bon pour les juifs honnêtes, qui y
trouveront la paix de l’esprit. Leur délire de persécution s’atténuera,
espérons-le du moins… Pour faire court, les Juifs n’auront pas à regretter
grand-chose, de même que les Sud Africains blancs ne regrettent pas l’époque de
l’apartheid. La paix avec les voisins, voilà qui permettra une intégration
pleine et entière dans la région, et l’intégration est généralement bonne pour
les juifs.
Un seul Etat,
ce n’est pas l’apocalypse ni la fin du monde. C’est parfaitement faisable, et
c’est une évolution mutuellement profitable. Nous devrions encourager ces juifs
nationalistes qui plaident pour un seul Etat. Pourquoi cela n’a pas été envisagé
jusqu’à maintenant ? Voilà qui relève plus de la psychologie que de la
realpolitik. Traditionnellement, les juifs sont opposés aux mariages mixtes,
depuis le temps d’Esdras, qui avait chassé tous les couples mixtes de l’Etat
juif naissant [au Vème siècle av. J-C]. Avec le déclin de la religiosité juive,
les juifs nationalistes ont hérité de ce trait. Le nationalisme juif a pris
corps au XIXème siècle : les juifs nationalistes (ou « fiers de l’être », comme
ils disent) partageaient la répugnance de Hitler pour le métissage et sa peur
d’une dilution de leur « race pure ». Ils croient à juste titre que la
coexistence pacifique entraînera le mélange, et par conséquent la dilution du
précieux sang juif, ou de la race juive, ou de l’ADN juif, ou de tout ce qu’on
voudra. Effectivement, aux USA, en Russie, en Europe, il y a 50% de mariages
mixtes. Si la guerre est le seul moyen pour éviter le métissage, allons-y pour
la guerre, voilà leur conclusion. La guerre a cela de bon qu’elle « empêche
l’évaporation de la société israélienne », écrit l’historien
Ilan Pappe.
Ce judaïsme national-socialiste et
belliciste est périmé, il est miné par l’américanisation d’Israël d’un côté de
la ligne verte, et par l’appel de la terre de l’autre côté. Les colons, des
rustiques, vivent tout près des endroits les plus exquis de la Palestine. Il
n’est pas étonnant que pour certains d’entre eux l’appel de la terre soit devenu
plus important que l’appel du sang. Pas seulement le sang à verser, mais aussi
le sang à mêler. En fait, le propriétaire de Haaretz, Amos Shocken, a écrit en
faveur de la pleine intégration et assimilation mutuelle de Juifs et
Palestiniens.Le livre pionnier de Shlomo Sand L’Invention du Peuple juif,
qui en finit avec le concept de race juive antique et pure, a un succès étonnant
parmi les juifs israéliens, qui sont apparemment prêts à recevoir ce message.
Un lecteur étranger pourra être interloqué
par le soutien des nationalistes juifs à cette idée rejetée avec tant de
rigidité par la gauche sioniste israélienne. Mais pour nous les Israéliens, cela
n’est pas si étrange, vu l’effondrement moral et organisationnel de la gauche
sioniste au cours de ces dernières années. Après tout, la gauche sioniste nous a
donné la Nakba sous Ben Gourion, puis la prolifération des colonies sous Rabin
et Barak. C’est aussi la gauche sioniste qui a inventé le Mur avec le slogan
d’apartheid : « nous ici et eux-là-bas ».
Ali Abunimah nous a judicieusement
rappelé qu’
« en Afrique du Sud, ce ne sont pas les critiques traditionnelles de gauche
contre l’apartheid qui ont conduit au démantèlement du système, mais le parti
national, qui avait édifié l’apartheid comme un axe. » En fait, le libéralisme
[au sens américain de ‘gauche’] ne mène nulle part, c’est une attitude mi
chou-mi chèvre. Parmi les colons il y a bien des éléments indigestes, mais ils
ne sont pas pires que l’Israélien moyen. Et il y en a même beaucoup qui sont
humains, parfaitement ! Leurs voisins palestiniens le savent.
Ainsi Raja Shehadeh achève
son merveileux livre Palestinian
Walks sur
la rencontre charmante avec un jeune colon qui cherche quelque chose à fumer. En
passant de l’un à l’autre, le joint se fait calumet de la paix.
Gilad
Atzmon et Ali Abunimah affirment tous les deux que les nationalistes juifs s’en
tiennent à « un Etat juif démocratique» au lieu de « un Etat pour tous ses
citoyens ». C’est vrai. Un Etat juif démocratique, cela veut dire démocratique
pour les juifs, et juif avec tous les autres. Cependant, Lincoln et ses
contemporains qui affranchirent les esclaves ne s’attendaient pas à ce qu’un
homme noir soit un jour président des USA, ce qui est pourtant arrivé grâce à la
dynamique qu’ils avaient libérée. De la même façon, dans le cas présent,
laissons donc des millions de Palestiniens s’inscrire sur les listes
électorales, et les problèmes mineurs trouveront leurs remèdes.
Nous
devrions encourager les « One-Staters » nationalistes. C’est peut-être le moment
d’organiser une Conférence Pour Un Seul Etat, comme nous en avions tenue une à
Lausanne, il y a quelques années, mais cette fois-ci avec les colons et avec le
Hamas, et avec tous ceux qui veulent vivre dans Une Seule Palestine, complète,
pour reprendre le terme de Tom Segev.
Un seul Etat? Non, ce n’est pas
l’apocalypse ni la fin du monde. C’est parfaitement faisable, et c’est une
évolution mutuellement profitable. Nous devrions encourager ces juifs
nationalistes qui plaident pour un seul Etat.
Traduction: Maria Poumier
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