Pouvoir juif
par Paul Eisen, août 2005.
Original :
http://www.israelshamir.net/Contributors/3.htm
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier pour
http://quibla.net
Le crime contre le peuple palestinien est en train d'être
perpétré par un Etat juif dont les soldats juifs utilisent des
armes ornées de symboles religieux juifs, avec l'entier soutien
et la complicité de l'immense majorité des juifs organisés, de
par le monde. Mais de là à désigner les juifs en tant que
responsables de ce crimeŠ : voilà pourtant qui semble impossible
!
L'avenir est toujours ouvert, et rien ne peut jamais être écarté.
Mais, pour l'instant, il est difficile d'entrevoir comment
Israël pourrait être stoppé. Depuis plus de cinquante ans, il
est clair qu'Israël ne relâchera son attitude exterminatrice
envers les Palestiniens et l'existence palestinienne que
lorsqu'il sera contraint à le faire. Cette nécessité ne saurait
résulter d'une action militaire, et il est néanmoins difficile
d'entrevoir de quelle manière quelque chose d'autre pourrait
l'imposer. La croyance généralement admise selon laquelle, si
l'Amérique tournait le robinet à dollars, Israël serait mis à
genoux est loin d'être prouvée. Tout d'abord, cela n'arrivera
pas. Ensuite, ceux qui y croient sous-estiment vraisemblablement
tant la cohésion de la société israélienne que la force de
l'histoire juive qui l'imprègne. Encore plus invraisemblable est
l'option militaire. La seule force, au monde, qui pourrait
éventuellement réduire Israël, c'est l'armée américaine. Et, là
encore, cela n'arrivera pas.
La résistance palestinienne nous surprendra toujours. Après plus
de cinquante ans d'agression brutale par ce qui risque fort
d'être considéré un jour comme l'une des puissances les plus
impitoyables et irrationnelles des temps modernes, confronté à
la coalition de la quasi totalité des puissances terrestres, les
Palestiniens sont encore parmi nous, ils tiennent toujours bon,
ils savent encore qui ils sont et d'où ils viennent ! Néanmoins,
actuellement, la résistance effective est peut-être déjà
derrière nous (bien que la possibilité d'une résistance non-violente
ne puisse jamais être totalement écartée) et, pour l'instant, la
seule stratégie qui s'offre encore à eux risque fort de n'être
qu'une stratégie pour la survie.
Pour nous, il est tellement plus facile de nier cette réalité,
plutôt que l'accepter, et sans aucun doute : le combat va
continuer. Jusqu'à quel point ce combat sera-t-il fructueux,
personne ne peut le prédire. Bien que le présent semble
totalement désespéré, la survie est toujours vitale, et personne
ne sait quand de nouvelles opportunités pourront se présenter.
Quoi qu'il en soit, le combat contre l'injustice vaut toujours
le coup d'être mené. Mais quid, si ce combat devient tellement
décevant qu'il fait obstacle à la résistance, plutôt qu'il ne la
seconde ? Quid si la lutte devient une manière d'éviter la
réalité, plutôt que de l'affronter ? Ces slogans : « A bas
l'occupation ! » et « Deux Etats, pour deux peuples » sont
désormais rejoints par un nouveau slogan : « Une seule solution
: un Etat unique ! ». Ce slogan est exactement aussi
fantasmatique que ses prédécesseurs, parce que, de la même
manière que l'occupation ne prendra jamais fin, et qu'il n'y
aura jamais de véritable Etat palestinien, il n'y a pour
l'instant, aucune possibilité d'un quelconque « Etat unique »
que l'Etat d'Israël, qui s'étend désormais de la Méditerranée au
Jourdain, et la seule « solution » est une solution finale,
laquelle même elle ne saurait être écartée du revers de la
main.
« Le sionisme, ce n'est pas le judaïsme ; le judaïsme, ce n'est
pas le sionisme »Š
Le crime contre le peuple palestinien est en train d'être
perpétré par un Etat juif dont les soldats juifs utilisent des
armes ornées de symboles religieux juifs, avec l'entier soutien
et la complicité de l'immense majorité des juifs organisés, de
par le monde. Mais de là à désigner les juifs en tant que
responsables de ce crimeŠ : voilà pourtant qui semble impossible
! Le passé est simplement trop terrible. Nous savons tous à
quelle haine et à quelle violence ont conduit, dans le passé,
les accusations portées contre les juifs. Aussi, si nous nous
mettions à examiner d'un ¦il critique le rôle des juifs dans ce
conflit, qu'en adviendrait-il de nous, et de notre combat ?
Serions-nous étiquetés d'antisémites, perdant l'essentiel du
soutien que nous avons tant peiné à conquérir ?
Le présent, lui aussi, est plein d'ambiguïtés. Le sionisme n'est
pas le judaïsme ; le judaïsme n'est pas le sionisme : voilà qui
est devenu un article de foi, répété comme un mantra, à
l'infini, ainsi que l'assertion selon laquelle le sionisme
serait une idéologie séculière, opposée, pour l'essentiel de son
histoire, à l'immense majorité des juifs religieux et à laquelle
s'opposent encore aujourd'hui des juifs véritablement
respectueux de la Torah, tels ceux du mouvement Neturei Karta.
Mais le sionisme est désormais au c¦ur de la vie juive, des
juifs religieux étant parmi les sionistes les plus virulents. Et
les Neturei Karta, en dépit de leur judaïsme impeccable, de
leurs magnifiques discours et de l'enthousiasme avec lequel ils
sont accueillis dans les meetings de solidarité, etc., risquent
fort de n'être que des juifs de carnaval, à des années lumières
de la réalité de la vie juive.
Et, quand bien même le sionisme pourrait être désolidarisé du
judaïsme, pourrait-il être distingué d'une identité juive plus
large, ou de la judéité ? Très souvent, le sionisme est proclamé
un ajout moderne à l'identité juive, une nouvelle idéologie
colonialiste de peuplement, fût-elle anachronique, à la seule
différence qu'elle serait adoptée par des juifs, en réponse à
leur vocation. Mais ne serait-ce pas plutôt que notre besoin
d'échapper à l'accusation d'antisémitisme et nos propres
perceptions et sentiments conflictuels, notre insistance à
affirmer que le sionisme et la judéité sont disjoints, nous ont
amenés à interpréter la situation de manière erronée ? Notre
refus de regarder en face la judéité même du sionisme et ses
crimes ne nous a-t-il pas empêché de comprendre exactement ce
contre quoi nous nous battons ?
Les juifs, le judaïsme et le sionisme
Les juifs sont complexes ; l'identité juive est complexe et la
relation entre le judaïsme, une religion, et une identité juive,
ou judéité, plus large et souvent laïque, est véritablement très
complexe. La judéité, cela peut s'expérimenter à l'écart de
toute synagogue, de toute yeshiva ou de tout autre aspect formel
de vie juive religieuse. Et pourtant, elle n'en est pas moins
inextricablement liée au judaïsme. C'est la raison pour laquelle
les juifs laïcs sont enclins à proclamer leur laïcisme au moins
aussi fort qu'ils clament leur judéité. Marc Ellis, un juif
religieux, dit que lorsque vous examinez ces juifs qui sont
solidaires des Palestiniens, l'immense majorité d'entre eux sont
laïcs mais, d'un point de vue religieux, l'Alliance les
concerne tout autant. Pour Ellis, ces juifs laïcs sont peut-être
porteurs de l'avenir de la vie juive, à leur insu, voire même à
leur corps défendant.
L'identité juive, qui lie les juifs entre eux, provient des
profondeurs de l'histoire juive. Il s'agit d'une histoire
partagée, à la fois réelle et imaginaire, en ceci qu'elle est à
la fois littérale et théologique. Beaucoup de juifs, en
Occident, partagent une véritable histoire de vie commune en
tant que peuple distinct, ayant vécu tout d'abord en Europe
orientale ou centrale, puis en Europe occidentale et en Amérique.
D'autres partagent une authentique histoire d'installation en
Espagne, suivie d'une expulsion, puis d'une réinstallation un
peu partout dans le monde, et en particulier dans les pays
arabes et musulmans. Mais cela n'est peut-être pas ce qui unit
tous les juifs, parce que cela n'est pas avéré pour tous les
juifs, mais d'autres liens existent, qui peuvent être
théologiques ou historiques. La plupart des Palestiniens,
aujourd'hui, ont sans doute plus de sang hébreu dans leurs
petits doigts que la plupart des juifs occidentaux n'en ont dans
tout leur corps. Et néanmoins, l'histoire de la Sortie d'Egypte
est aussi réelle, pour beaucoup d'entre eux, et plus important
cette histoire a été aussi réelle pour eux, quand ils étaient
enfants que s'ils s'étaient personnellement trouvés, avec tous
les juifs, en compagnie de Moïse lui-même, au pied du Mont Sinaï.
Et des histoires comme celles-ci ne s'arrêtent pas à l'époque
contemporaine. Même pour des juifs laïcs, il existe un
sentiment, même s'ils ne le reconnaissent pas ou n'en ont pas
conscience, non seulement d'une histoire en partage, mais aussi
d'un destin commun. Central, dans l'histoire juive, tant
religieuse que séculière, est le sentiment d'une mission centrée
sur l'exil et le retour. Comment expliquer autrement la dévotion
extraordinaire de si nombreux juifs, religieux et laïcs, envers
le « retour » sur une terre avec laquelle, en termes réalistes,
ils n'ont qu'un lien extrêmement ténu, et encore, lorsqu'ils en
ont un ?
Pour bien des juifs, cette histoire leur confère une «
spécificité ». Cela n'est pas unique aux juifs après tout,
qui, au plus profond de soi-même, ne se sent-il pas un tant soi
peu différent d'autrui ? Mais, pour les juifs, cette spécificité
est au centre de leur auto-identification, et la plupart des
hommes, autour d'eux, semblent y apporter leur concours. Pour
les juifs religieux, leur spécificité découle d'une alliance
supposée avec Dieu. Mais pour les juifs laïcs, leur spécificité
provient d'une histoire particulière. Dans les deux cas, cela
peut être une bonne chose, et même une très belle chose. Dans
l'essentiel de la tradition religieuse juive, cette spécificité
n'est pas autre chose qu'une obligation morale, qu'une
responsabilité particulière, à offrir en exemple au monde, et
pour beaucoup de juifs laïcs, cela les a conduits à lutter pour
la justice, en beaucoup d'endroits, dans le monde entier.
Au c¦ur de cette spécificité juive, il y a la souffrance et la
victimitude juives. Comme l'histoire partagée elle-même, cette
souffrance peut mais pas nécessairement correspondre à la
réalité. Les juifs ont indéniablement souffert, mais leur
souffrance demeure inexpliquée, car inexplorée. L'Holocauste,
qui représente désormais le paradigme de la souffrance juive,
n'appartient plus depuis longtemps à l'histoire : il s'agit
désormais d'un phénomène théologique, considéré tel aussi bien
par les laïcs que par les religieux presque un texte sacré
et il est, partant, au-delà de tout examen critique. Et la
souffrance ne trouve jamais de fin. Quelque grande qu'ait été
leur souffrance, les juifs ne souffrent pas, aujourd'hui, c'est
une évidence. Mais, pour de nombreux juifs, leur histoire de
souffrance n'est pas simplement un passé auquel on ne saurait
rien changer ; c'est aussi un futur possible. Aussi, peu importe
le degré de sécurité dont puissent jouir les juifs, beaucoup
parmi eux ont le sentiment qu'ils ne sont qu'à un jet de pierre
d'Auschwitz.
Le sionisme est au c¦ur de tout ceci. Le sionisme est, lui aussi,
complexe, et il provient, lui aussi, du tréfonds de l'histoire
juive, avec ce même sentiment d'exil et d'aspiration au retour.
Le sionisme, lui aussi, confirme que les juifs ont une
spécificité, dans leur souffrance, et il explique que les juifs
doivent « retourner » sur une terre qui leur aurait été donnée
à eux, exclusivement par Dieu, s'ils sont croyants, ou par
l'histoire, s'ils ne le sont pas et, cela, pour la « bonne » et
simple raison qu'ils ne sauraient être en sécurité, où que ce
soit, ailleurs, sur Terre.
Et alors, allez vous demander ? Si les juifs pensent qu'ils sont
un peuple doté d'un lien avec une terre et s'ils ont un désir
profond d'y « retourner », en quoi cela nous regarde-t-il, dès
lors que cette terre ne serait pas déjà peuplée par les
Palestiniens ? Et si les juifs ont le sentiment qu'ils sont
spéciaux et que Dieu a conclu quelque marché spécial avec eux,
où est le problème, dès lors que cela ne les amène pas à exiger
de traitement préférentiel, ni à user de discrimination envers
d'autres qu'eux-mêmes ? Et si les juifs ont le sentiment qu'ils
ont souffert comme nul autre sur Terre, très bien, dès lors
qu'ils n'utilisent pas leur souffrance afin de justifier la
souffrance qu'ils imposent à d'autres, ni de manière à exercer
un chantage moral sur le monde entier, en lui imposant un
silence complice, sinonŠ
C'est bien là le problème, avec le sionisme. Il exprime
l'identité juive, mais il lui donne aussi le pouvoir. Il dit aux
juifs (et à beaucoup de non-juifs, aussi) que les juifs peuvent
faire ce que les juifs ont toujours rêvé faire. Il s'empare des
sentiments religieux parfaitement acceptables des juifs, ou si
vous préférez, des illusions parfaitement inoffensives des juifs,
et il s'efforce de les transformer en une réalité terrible. Les
notions juives de spécificité, d'élection, voire même de
suprématisme, sont parfaites, pour un petit peuple errant, mais
lorsque ce peuple s'est doté d'un Etat, et d'une armée équipée
d'avions de chasse F-16, elles deviennent préoccupantes pour
chacun d'entre nous.
Le sionisme, en tant qu'accession des juifs à la nationalité,
change tout. Israël n'est pas simplement un Etat comme les
autres, c'est un Etat juif, et ceci signifie quelque chose de
plus que simplement un Etat pour les juifs. Cet Etat juif est
édifié sur des traditions et des modes de pensée qui ont évolué,
parmi les juifs, à travers les siècles - et parmi ces modes de
pensées, se trouvent notamment les notions que les juifs sont
particuliers et que leur souffrance est particulière. De leur
propre aveu, les juifs sont une « nation qui vit à part », et
pratique le « nous, et eux », et même, dans bien des cas, le «
nous, ou eux ». Et ces tendances trouvent leur traduction dans
l'Etat moderne d'Israël. Il s'agit d'un Etat qui ne connaît pas
de frontières. D'un Etat qui croit, et utilise en guise de
justification de ses propres agressions, en la notion que sa
survie est en permanence en jeu, et que par conséquent tout et
n'importe quoi est justifié afin d'assurer cette survie. Israël
est un pays qui pense manifestement que les règles tant
juridiques qu'humanitaires applicables à tous les autres Etats
ne s'appliquent tout simplement pas à son propre son cas.
Leur pire cauchemar, mais un cauchemar bien à euxŠ
Quelle terrible ironie, de constater que cette accession au
pouvoir des juifs en est venu à ressembler comme deux gouttes
d'eau aux avènements de ces pouvoirs sous lesquels les juifs ont
souffert mille morts. Le christianisme au pouvoir, là aussi un
mariage entre foi et puissance, a imposé son idéologie et
poursuivi ses dissidents et ses ennemis avec une ferveur en rien
supérieure à celle manifestée par le judaïsme au pouvoir. Dans
son zèle et sa confiance en lui-même, le sionisme en est venu à
ressembler aux idéologies modernes les plus brutales et les plus
implacables. Mais, à la différence du rationalisme brutal du
stalinisme, prêt à sacrifier des millions d'êtres humains au nom
de la révolution politique et économique, cette idéologie juive,
dans son zèle et son irrationalité, s'apparente plutôt au
national socialisme, qui a pourtant condamné des millions de
personnes au nom de l'atteinte d'une suprématie raciale et
ethnique insensée.
Bien sûr, il y a des différences. Mais il y a aussi des
similitudes. Le national socialisme, comme le sionisme, autre
alliage entre mysticisme et pouvoir, a acquis une crédibilité en
tant que moyen supposé susceptible de redresser des torts
infligés à un peuple victime. Le national socialisme, comme le
sionisme, aspirait à maintenir la pureté raciale / ethnique d'un
groupe humain déterminé et à maintenir les droits de ce groupe
ethnique particulier au-dessus de ceux des autres peuples. Le
national socialisme, comme le sionisme, a proposé, lui aussi, un
attachement quasi mystique de ce groupe humain déterminé à un
territoire particulier. De même, tant le social nationalisme que
le sionisme avaient en partage un intérêt commun : séparer les
juifs des non-juifs, dans ce cas particulier, en faisant partir
les juifs d'Europe et ils coopérèrent activement dans la
poursuite de ce but. Et si la similarité entre ces deux
idéologies est tout simplement trop profonde et trop amère pour
être admise, on peut se demander de quoi le national socialisme,
avec ses uniformes, ses oriflammes et sa jeunesse enrégimentée
avait l'air, aux yeux des Allemands désespérés par les accords
de Versailles et les ravages subis par l'Allemagne du fait de la
Première guerre mondiale ? Sans doute l'image qu'ils en eurent
n'était pas si différente de celle retirée des uniformes, des
oriflammes et de la jeunesse au pas cadencé de l'Etat pré- et
post-sioniste par les juifs, après leur histoire faite de
souffrances, en particulier après l'Holocauste.
Il s'agit là, pour les juifs, de leur propre pire cauchemar : ce
qu'ils aiment le plus au monde est devenu ce qu'ils haïssent
par-dessus tout. Quant à ces juifs, et d'autres aussi, qui
pâlissent en comparaison, laissons-les se poser eux-mêmes la
question suivante : qu'est-ce qu'un Allemand moyen, quand bien
même eût-il été un nazi fanatique, aurait dit, par exemple en
1938, si vous aviez évoqué devant lui la possibilité d'un
Auschwitz ? A ses yeux, vous auriez passé pour dément !
Les juifs américains et l'Amérique juive
Au c¦ur du conflit, il y a la relation entre Israël et
l'Amérique. Il est inutile de rappeler ici les statistiques
des milliards de dollars d'aides et de prêts, les veto
américains automatiques à l'ONU,etc. le soutien américain à
Israël semble sans limite. Mais quelle est la nature de ce
soutien ? Pour beaucoup de gens, sans doute la majorité, la
réponse est relativement simple. Israël est un Etat client de
l'Amérique, et cet Etat sert les intérêts américains ou, plus
précisément, les intérêts de ses élites au pouvoir. Cette vision
des choses est sous-tendue par l'importance évidente du pétrole,
l'énorme importance stratégique de la région du Moyen-Orient et
le fait que, si Israël ne défendait pas les intérêts des gens
qui contrôlent l'Amérique, alors nous pourrions être certains
que l'Amérique ne soutiendrait pas Israël. Aussi nul doute que
l'Amérique ait trouvé dans les Forces israéliennes « de défense
» une armée merveilleusement souple et efficace, aisément
mobilisable et excitable, et qu'on peut laisser se déchaîner à
loisir, dès lors qu'un quelconque groupe d'Arabes se monterait
un peu trop le bourrichon.
Mais est-ce là toute l'histoire ? Israël sert-il réellement les
intérêts de l'Amérique, et leur relation est-elle entièrement
fondée sur ces intérêts partagés ? Considérons l'immensité des
pertes, en terme de bonne volonté de la part d'autres pays,
accusées par l'Amérique en raison de son soutien à Israël, et
considérons la puissance et l'influence du lobby « juif », «
sioniste » ou « pro-israélien » (comme on voudra), qui fait que
beaucoup de législateurs généralement responsables, confrontés à
la perspective d'une intervention du lobby juif susceptible de
leur faire remporter les prochaines élections, semble trop
heureux de placer leurs perspectives de réélection très au-dessus
de ce qui serait simplement « bon, pour l'Amérique »Š
Les détails, qui filtrent, de temps à autre, sur les agissements
de l'Aipac (et d'autres officines) et les mécanismes grâce
auxquels ces groupes exercent des pressions sur les législateurs
et les gouverneurs américains, ont été traités ailleurs ; nous
voulons simplement relever ici que ce groupe de pression est
sans aucun doute extraordinairement efficace et qu'il rencontre
beaucoup de succès. Il ne s'agit pas simplement de petits
groupes de juifs favorables à Israël, comme leurs financeurs et
soutiens voudraient nous le donner à accroire : il s'agit
d'idéologues, puissants et motivés : des multimilliardaires, des
magnats des médias, des hommes politiques, des activistes et des
leaders religieux. Quoi qu'il en soit, le capacité du lobby juif
à bâtir ou à démolir toute personnalité publique est
légendaire ce n'est pas pour rien qu'on y fait le plus souvent
référence en utilisant l'expression elliptique « The Lobby » [Le
Lobby, par excellence]Š
Mais, là encore, il y a sans doute bien plus, dans les relations
israélo-américaines, qu'une simple communauté d'intérêts et
l'efficacité de certains groupes de pression. Le fait que le
soutien d'Israël serve nécessairement les intérêts des gens qui
contrôlent l'Amérique est certainement la réalité, mais : qui
contrôle l'Amérique ? Sans doute, la véritable relation
n'est-elle pas entre Israël et l'Amérique, mais entre les juifs
et l'AmériqueŠ
L'écrasante majorité des juifs, en Amérique, vivent leur vie,
exactement comme le font tous les Américains, non-juifs. Ils
sont aisés, et ils sont indubitablement satisfaits de voir
l'Amérique soutenir leurs coreligionnaires juifs en Israël, mais
les choses s'arrêtent là. Néanmoins, un groupe considérable de
juifs contrôle une partie considérable de l'Amérique oh, bien
sûr, pas les muscles industriels de l'Amérique, tels la
sidérurgie, les transports, etc., ni le pétrole et les
industries de l'armement, ces usines à fric traditionnelles.
Non, si les juifs ont une influence, quelque part, en Amérique,
ce n'est ni sur les muscles ni sur les tendons, mais plutôt sur
le sang et le cerveau. C'est dans la finance et les médias que
nous trouvons beaucoup de juifs à des positions extrêmement
stratégiques. Les listes abondent (bien que vous deviez
consulter des sites ouèbes particulièrement sulfureux pour les
trouver) de juifs éminents dans la finance et la vie culturelle
: Les juifs dans le secteur bancaire, Les juifs figurant dans la
liste des Américains les plus fortunés, établie par Forbes
Magazine ; les juifs d'Hollywood ; les juifs de la télévision ;
les journalistes, écrivains, critiques juifs, etcŠ
Les juifs n'ont pas été particulièrement manchots lorsqu'il
s'est agi d'exploiter leur position. Ils n'ont pas hésité à
utiliser les moyens (quels qu'ils fussent) dont ils disposaient
pour assurer la promotion de leurs intérêts bien sentis. Inutile
d'adhérer à une quelconque théorie du complot pour remarquer
combien il est naturel, pour un juif des médias, de faire la
promo des juifs et de leurs valeurs, qu'ils présentent comme
positifs et dignes d'être imités. Qui, parmi vous, a vu
dernièrement un juif présenté sous un jour autre que favorable ?
Les juifs sont intelligents, moraux, intéressants, trépidants,
chaleureux, futés, complexes, éthiques, contradictoires,
prophétiques, insupportables, parfois passablement irritants,
mais toujours formidablement séduisants. Pas étonnant, dès lors,
si les juifs occupant des positions enviables sont enclins à
faire la promotion de ce qu'ils pensent être les intérêts
collectifs des juifs. N'est-il pas tout simplement incroyable
que les conseillers juifs qui entourent la présidence américaine
aient les intérêts d'Israël à l'esprit lorsqu'ils prodiguent
leurs conseils en matière de politique étrangère au président
américain ?
Mais bonŠ Ainsi, il y a beaucoup de juifs qui ont beaucoup
d'argent, et beaucoup de juifs qui ont beaucoup de choses à dire
et aussi les moyens de les dire et d'être entendus. Si les
juifs, en vertu de leur capacité à utiliser des ressources
(gagnées tout aussi honnêtement que celles des autres), font la
promotion de ce qu'ils perçoivent être leur propre intérêt
collectif, qu'y a-t-il à redire à cela ? Tout d'abord, à de
rares et notables exceptions, la grande majorité des juifs
peuvent, en toute bonne foi, mettre la main sur leur c¦ur et
jurer qu'ils n'ont jamais pris la moindre décision, ni entrepris
la moindre action, en ayant à l'esprit des intérêts collectifs
juifs, en tout cas, certainement pas consciemment. Et même si
c'est le cas, ils ne se comportent pas différemment de tout un
chacun. A quelques exceptions près, les juifs ont gagné durement
leurs positions avantageuses. Ils sont partis de rien, ils ont
joué en respectant les règles du jeu, et s'ils utilisent leur
influence afin de promouvoir ce qu'ils pensent être des intérêts
juifs, qu'y a-t-il là de si répréhensible ? Les Polonais, les
Ukrainiens, le lobby des armes, les évangélistes chrétiens,
n'oeuvrent-ils pas, eux aussi, à l'avancement de leurs intérêts
spécifiques ?
La différence, entre les juifs et les autres groupes, c'est que
les juifs le font probablement mieux que les autres. Les juifs
sont, en fonction de quasiment la totalité des critères, le
groupe ethnique qui réussit le mieux aux Etats-Unis et, quelle
qu'en soit la raison, ils sont depuis longtemps
extraordinairement doués lorsqu'il s'agit d'assurer leur
auto-promotion, tant individuelle que collective. Et ils n'y
aurait probablement rien à redire à cela, si ce n'est le fait
que ces mêmes personnes qui exercent une telle influence et un
tel contrôle sur la vie américaine sont aussi celles qui
semblent refuser d'être tenus de rendre des comptes. C'est
subrepticement que les juifs sont perçus comme ayant atteint le
succès, ce qui soulève des soupçons. Les juifs, c'est le moins
qu'on puisse en dire, se montrent particulièrement chatouilleux
sur le chapitre de l'influence qu'on leur prête ou qu'ils ont
véritablement. Prononcez simplement l'expression « pouvoir juif
», et vous verrez la réaction ! Ils affirment que cette
susceptibilité tient au fait que cette accusation a souvent été
utilisée à leur encontre, et qu'elle a été le signe annonciateur
de discriminations et de violences dirigées contre eux, mais ils
ne prennent jamais en considération la possibilité que leur
propre réticence à discuter du pouvoir qu'ils détiennent puisse
susciter des soupçons, voire même de l'hostilité à leur
encontreŠ
Et puis il y a cette autre allégation, plus subtile, et aussi
plus inquiétante. C'est celle selon laquelle ce pouvoir
n'existerait pas ; les juifs ne détiendraient aucun pouvoir ; il
n'y aurait pas de lobby juif ; les juifs en Amérique
n'exerceraient aucun pouvoir et aucune influence afin de
promouvoir des intérêts juifs, et même que des intérêts juifs,
cela n'existe pas ! Il n'y a pas d'intérêts juifs impliqués dans
la guerre en Irak, il n'y a pas d'intérêts juifs en Amérique ;
plus étonnant encore, il n'y a pas d'intérêts juifs non plus, ni
en Israël, ni en Palestine ! Il n'existe pas de collectif juif.
Les juifs n'agissent pas collectivement afin de promouvoir leurs
intérêts. Ils disent même que le lobby pro-israélien n'a en
réalité pas autant à voir qu'on le dit avec les juifs, que la
judéité d'Israël n'a aucune importance et que les Comités pour
les Affaires Publiques [Public Affairs Committees PACs) qui
font un lobby effréné en faveur d'Israël ne font rien de plus,
en réalité, que soutenir un allié, et par conséquent veiller aux
intérêts bien sentis de l'Amérique, allant même jusqu'à
dissimuler leur véritable objectif sous des noms d'emprunt
d'organismes tels « American for Better Citizenship » [Les
Américains pour une meilleure citoyenneté], « Citizen's
Organized PAC » ou encore « National PAC » - dont aucun ne fait
la moindre allusion, dans sa raison sociale, ni à Israël, ni au
sionisme, ni aux juifs. De même, les juifs et les organisations
juives sont censés faire la promotion non tant des valeurs et
des intérêts juifs qu'américains, voire universels. Ainsi, le
plus grand musée de l'Holocauste, présenté comme « Musée de la
Tolérance », met l'accent non seulement sur l'antisémitisme,
mais sur toutes les formes d'intolérance connues de l'humanité
(excepté celle dont des juifs font preuve envers les non-juifs,
en Israël et en PalestineŠ). De même, l'Anti-Defamation League
ne serait rien d'autre qu'une organisation visant à assurer la
promotion des principes universels de tolérance et de justice,
non seulement en ce qui concerne les juifs, mais pour tout le
mondeŠ
Cette convergence entre intérêts juifs et américains n'est nulle
part plus éclatant que dans le domaine de la politique
extérieure américaine actuelle. Si jamais un tableau a pu
évoquer puissamment une conspiration mondiale juive, c'est bien
le spectacle donné par les néocons juifs assemblés autour de la
présidence actuelle et dirigeant sa politique au Moyen-Orient.
Mais on nous dit que le fait que les néocons juifs soient si
nombreux à avoir des liens avec des formations de droite en
Israël et à être aux premières lignes pour inciter
(l'administration américaine) à (adopter) une politique
pro-israélienne n'est pas autre chose qu'une simple coïncidence,
et toute suggestion que ces personnages puissent être influencés
par leur judaïté et leurs liens avec Israël est immédiatement
repoussée du revers de la main : elle ne saurait relever que des
mythes antisémites surannés concernant la loyauté duplice des
juifs. L'idée que l'intervention américaine en Irak, seule
véritable contrepoids militaire à l'hégémonie israélienne au
Moyen-Orient, et, partant, instigateur de la résistance
palestinienne, serve essentiellement des intérêts israéliens,
bien avant les intérêts américains, a été elle aussi consignée
dans le monde succube des mythes antisémites médiévaux. La
suggestion que ces juifs, dans l'entourage du président
américain, agissent poussés par des motivations autres que la
promotion des intérêts de l'ensemble des Américains, voilà qui
n'est pas autre chose que de la diffamation antisémite. Et
peut-être ont-ils raison. Peut-être ceux qui assurent la
promotion des intérêts juifs sont bien, en fait, en train de
défendre des intérêts américains, dès lors que, tout au moins
pour l'instant, ils semblent ne faire qu'unŠ
La Juimérique
A Washington, District of Columbia, on peut admirer un mémorial
immortalisant une terrible tragédie. Non pas un mémorial dédié à
une tragédie infligée par une puissance étrangère aux
Américains, comme à Pearl Harbour, ou encore les attentats du 11
septembre 2001. Non pas un mémorial dédié à une tragédie
infligée à des Américains par des Américains, comme la mise à
sac de la ville d'Atlanta. Non pas un mémorial de contrition
pour une tragédie infligée par des Américains à un autre peuple,
tels l'esclavage ou l'histoire de la discrimination raciale en
Amérique. Rien de tout cela. Le mémorial de l'Holocauste est là
pour rappeler une tragédie infligée à des gens qui n'étaient pas
Américains, par des gens qui n'étaient pas Américains, et en un
lieu très très éloigné de l'Amérique. Et les coreligionnaires,
ou même, si vous voulez, les concitoyens de gens auxquels cette
tragédie fut infligée et auxquels le mémorial est dédié
représentent environ 2 % de la population américaine. Comment se
fait-il qu'un groupe de personnes qui représentent un
pourcentage tellement minime de la population américaine
générale puisse imposer un respect et une prévenance tels qu'un
monument leur soit dédié au c¦ur symbolique même de la vie
nationale américaine ?
Le narratif juif occupe désormais le centre de la vie
américaine, en tous les cas, avec certitude, de celle des élites
culturelles et politiques de l'Amérique. Il existe, quoi qu'il
en soit, beaucoup de choses, dans la façon dont les Américains
veulent se voir et voir leur histoire, qui est tout à fait
naturellement compatible avec la manière dont les juifs se
perçoivent eux-mêmes et dont ils perçoivent leur histoire.
Pourrait-il y avoir paradigme plus adéquat, pour un pays fondé
sur l'immigration, que l'histoire d'immigration massive des
juifs à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle ?
Pour beaucoup d'Américains, l'histoire de ces juifs venus vers
leur Goldenes Medina, comme ils disent en yiddish, vers leur
Eldorado, démunis de tout, et parvenus, à force de travail
acharné et de persévérance, au top niveau même de la société
américaine, c'est aussi leur propre histoire. Et pourrait-il y
avoir meilleur sujet d'inspiration, pour un pays (sinon
officiellement, en tous les cas viscéralement et profondément
chrétien) que l'histoire des juifs, le peuple même de Jésus, et
le peuple élu de Dieu, retournant dans son ancienne patrie et la
transformant en un Etat moderne ? Et pour une nation qui se
perçoit comme un phare de démocratie illuminant le monde, quelle
meilleure âme-s¦ur que l'Etat d'Israël, qui passe largement pour
« la seule démocratie au Moyen-Orient » ? Enfin, quelle plus
éclatante validation, pour un pays lui-même fondé sur une
narration de conquête et d'épuration ethnique que le narratif
biblique de la conquête et de la purification ethnique de la
Terre promise, à laquelle vient se surimposer la colonisation
tout aussi violente de la Palestine moderne, avec sa propre
épuration ethnique, suivie du « refleurissement du désert » ?
Bien sûr, la notion de peuple juif = peuple souffrant a encore
bien plus de résonances. Le fait que ce « peuple souffrant »
jouisse aujourd'hui d'un succès qui va bien au-delà des rêves
les plus fous d'un quelconque autre groupe ethnique aux
Etats-Unis semble n'avoir aucune espèce d'importance. Tout aussi
ignorée est la manière dont les juifs américains sont parvenus à
accéder au sommet du sommet de la société américaine, tout en se
plaignant, tout au long de leur ascension, de la manière dont
ils ont fait l'objet de discrimination. Néanmoins, pour
l'Amérique, les juifs ont connu une histoire ininterrompue de
souffrances et de victimitude. Mais cette histoire a, il est
vrai, rarement été étudiée, voire même débattue.
Un peuple souffrant
Le fait que les juifs aient souffert est indéniable, mais la
souffrance juive est présentée comme ayant duré si longtemps,
comme ayant été si intense et si particulière qu'elle doit être
tenue pour différente de toute autre souffrance.
Ce sujet est complexe et ne saurait être débattu de manière
exhaustive ici, mais les points suivants sont susceptibles de
susciter la discussion et de stimuler le débat.
Même au plus fort des périodes les plus terribles de la
souffrance juive, telles les Croisades ou les massacres de
Chmielnitzky, dans l'Ukraine du dix-septième siècle, et encore
plus à d'autres époques historiques, il a été dit que le paysan
moyen aurait donné ce à quoi il tenait par-dessus tout pour
pouvoir devenir juif. La signification de ceci est évidente :
d'une manière générale, au travers de la plus grande partie de
leur histoire, la condition des juifs fut le plus souvent
supérieure à celle de la masse de la population.
Les massacres ukrainiens auxquels nous avons fait allusion sont
intervenus dans le contexte d'une révolte paysanne contre
l'oppression imposée aux paysans ukrainiens par leurs seigneurs
féodaux polonais. Comme cela fut souvent le cas, les juifs
furent perçus comme occupant une position coutumière consistant
à être alliés à la classe dirigeante, et participant de ce fait
à l'oppression des paysans. Chmielnitzky, le chef de cette
insurrection populaire, est aujourd'hui célébré comme le héros
de la nation ukrainienne, non pas pour ses assauts contre les
juifs (on fait même souvent allusion au fait qu'il avait offert
à des juifs pauvres de se joindre à l'insurrection paysanne afin
de participer au combat contre leurs coreligionnaires
exploiteurs offre que les juifs déclinèrent), mais pour sa
défense des droits des Ukrainiens opprimés. Là encore,
l'inférence est simple : des explosions de violence antisémite,
même si elles ne sauraient jamais être justifiée, ont bien
souvent été des réponses face au comportement juif, tant concret
qu'imaginaire.
Dans l'Holocauste, trois millions de juifs polonais ont péri,
mais il en alla de même pour trois millions de Polonais
non-juifs. Des juifs furent pris pour cibles, mais il y eut
aussi des Tziganes, des homosexuels, des Slaves, principalement
des Polonais. De même, l'Eglise a brûlé les juifs en raison de
leurs croyances non conformes au dogme. Mais l'Eglise a brûlé de
la même manière quiconque entretenait des croyances non
conformes. Aussi, là encore, il faut poser la question suivante
: qu'a donc la souffrance juive de tellement spécial ?
L'Holocauste, ce paradigme de tout l'antisémitisme et de toute
la souffrance juive, est traité comme s'il était au-delà de tout
examen et de toute critique. Remettre en question la narration
de l'Holocauste, est , dans le meilleur des cas, socialement
inacceptable. Cela conduit souvent à l'exclusion et à la
discrimination sociales et, au pire, dans certains pays, cela
est illégal et entraîne de très lourdes sanctions pénales. Les
spécialistes du révisionnisme de l'Holocauste, généralement
qualifiés de négationnistes de l'Holocauste par leurs
détracteurs, ont relevé le défi. Ils ne dénient pas la réalité
d'un assaut brutal et extensif du régime nazi sur les juifs,
mais ils rejettent une narration de l'Holocauste telle celle qui
est présentée de nos jours par les establishments et les élites.
Plus spécifiquement, leur déni se limite à trois aires
principales. Tout d'abord, ils dénient l'existence d'un
quelconque projet, chez Hitler, ou n'importe quel autre
responsable du parti nazi, d'éliminer physiquement et
systématiquement tous les juifs d'Europe ; ensuite, ils dénient
l'existence de quelconques chambres à gaz à usage
d'extermination d'hommes ; enfin, ils affirment que le nombre
des victimes juives de l'agression nazie a été fortement
magnifié.
Mais là n'est pas la question. Que ceux qui mettent en doute le
narratif de l'Holocauste soient des universitaires
révisionnistes aspirant à trouver la vérité et scandaleusement
persécutés pour avoir osé s'opposer à une faction puissante, ou
qu'il s'agisse de fous haïssant les juifs, qui dénient une
tragédie tout en en diffamant les victimes bien réelles, demeure
le fait qu'il est tout à fait loisible de remettre en question
le génocide arménien, que l'on peut discuter librement du
commerce des esclaves, qu'on peut affirmer que l'assassinat de
millions d'Ibos, de Cambodgiens et de Rwandais n'a jamais eu
lieu et que la lune n'est pas autre chose qu'un morceau de
gruyère géant flottant dans l'espace, mais qu'on ne saurait
mettre en doute l'Holocauste juif. Pourquoi ? Parce que, comme
le reste de l'histoire de la souffrance juive, l'Holocauste
sous-tend le narratif de l'innocence juive, qui est utilisé afin
de leurrer et d'aveugler toute tentative de voir et de
comprendre ce que sont tant le pouvoir juif que la
responsabilité juive en Israël / Palestine, et ailleurs, dans le
monde.
Le pouvoir juif : qu'est-ce qu'un juif ?
L'écrivain israélien, originaire de Russie, Israël Shamir, est
partisan du droit qu'ont toutes les personnes, quelle que soit
leur ethnie ou leur religion, à vivre ensemble en totale égalité
entre la mer Méditerranée et le Jourdain. Shamir condamne le
comportement d'Israël et de la diaspora juive, et il en appelle
à ce qu'un terme soit mis à leur traitement préférentiel, mais
il propose, également, une opposition au judaïsme lui-même,
raison pour laquelle il est accusé d'anti-judaïsme accusation
qu'il ne dénie nullement, puisqu'en réalité, il la revendique.
Shamir pose l'existence d'une idéologie juive, qu'il appelle le
« paradigme juif », et il suggère que c'est l'adhésion
volontaire à cet « tournure d'esprit » qui fait d'un juif qu'il
est juif. Pour lui, la judaïté n'est ni une race, ni une
ethnicité pour Shamir, il n'existe pas de « tribu » ni de «
famille » juives il ne s'agit donc pas d'un corps biologique
ou ethnique d'où nul ne saurait se libérer. De plus, cette
idéologie (juive), basée sur des notions d'élection,
d'exclusivisme voire même de suprématisme est, tout au moins
lorsqu'elle s'est emparée du pouvoir, incompatible avec la paix,
l'égalité et la justice en Palestine, ou n'importe où,
d'ailleurs.
Il ne viendrait à l'idée de personne de s'opposer à un
quelconque juif pour la simple raison qu'il est juif, ni même en
raison de ses croyances. Cette opposition ne saurait concerner
que ce que ce juif fait. Le problème étant que, dès lors, comme
le dit Shamir, que ce que les juifs pensent et même font est
précisément ce qui fait d'eux des juifs, l'opposition à la
judaïté en tant qu'idéologie se rapproche dangereusement de
l'hostilité envers les juifs en raison du simple fait qu'ils le
sont. Mais, pour Shamir, les juifs sont juifs parce qu'ils
choisissent d'être juifs. On peut être né de parents juifs et
avoir été élevé dans les traditions juives, mais on peut
toujours, si on le veut, rejeter cette éducation juive et
devenir un non-juif. Et c'est ce que beaucoup de juifs ont fait,
dont des renégats aussi célèbres que Karl Marx, Saint Paul, Léon
Trotsky (et Israël Shamir lui-mêmeŠ)Š L'opposition aux juifs n'a
donc rien de comparable à l'hostilité envers les Noirs ou les
Asiatiques, ou à n'importe quelle autre attitude raciste, dès
lors que ceux qui font l'objet de ce rejet sont parfaitement à
même d'abandonner l'idéologie dont il est question.
Jamais Shamir n'a appelé d'aucune manière que ce soit à ce qu'il
soit fait du mal à des juifs ou à quiconque d'autre, ni à ce que
des juifs ou qui que ce soit d'autre fassent l'objet d'une
quelconque forme de discrimination. L'adhésion à cette idéologie
juive est, pour Shamir, regrettable, mais elle ne constitue pas,
en elle-même, un motif pour une opposition active. Cela ne
signifie pas non plus que Shamir s'opposerait à tout individu
juif pour la simple raison qu'il s'agirait d'un juif ou d'une
juive. Non. Ce à quoi Shamir objecte activement, ce n'est pas
aux « juifs », mais c'est à la « juiverie ». Dans la même
acception que l'Eglise catholique, la juiverie consiste en ces
juifs organisés avec leurs dirigeants, qui font la promotion
active d'intérêts et de valeurs juifs corrosifs, en particulier,
aujourd'hui, ceux qui contribuent à l'oppression des
Palestiniens.
Nul besoin d'être d'accord à cent pour cent avec Shamir pour
comprendre ce dont il nous parle. Pourquoi les juifs
n'auraient-ils pas une « mentalité » ? Après tout , un concept
tel celui-ci a bien été évoqué et étudié, concernant toutes les
autres nations ?
« Il est dangereux, il est erroné, de parler « des Allemands »,
ou d'un quelconque autre peuple, comme s'il s'agissait d'une
unique entité indifférenciée, qui inclurait tous les individus
dans une même appréciation. Et pourtant, je ne pense pas que
j'irais jusqu'à nier qu'il existât une mentalité propre à chaque
peuple (sinon, ce peuple ne serait pas un peuple) : un
Deutschtum, une italianité, une hispanité : ce sont les sommes
de traditions, de coutumes, d'histoires nationales, de langues
et de cultures. Quiconque ne ressent pas en lui-même cet esprit,
cette mentalité, qui est national(e) au meilleur sens de ce
terme, non seulement n'appartient pas complètement à son propre
peuple, mais n'est pas non plus partie de la civilisation
humaine. Par conséquent, autant je considère insensé le
syllogisme « Tous les Italiens sont des passionnels ; vous êtes
Italien, donc, vous êtes un passionnel », autant je pense
légitime, dans certaines limites, d'attendre des Italiens, pris
dans leur ensemble, ou des Allemands, etc., un comportement
spécifique, collectif, plutôt qu'un autre. Il y aura certes des
exceptions individuelles, mais une prévision prudente,
probabiliste, est à mon avis possible. »
Primo Levi
Et, s'agissant des juifs, cette analyse est sans doute encore
plus appropriée. La place du judaïsme, en tant qu'idéologie, au
centre de l'ensemble de l'identité juive peut être débattue,
mais peu de gens contesteraient l'idée que le judaïsme soit au
minimum au centre historique de la judaïté, et, quels que
puissent être par ailleurs les liens éventuels qui lient les
juifs entre eux, il est certainement vrai que la religion joue
un rôle important. Ensuite, pour un groupe de personnes qui ont
acquis une telle identité collective extrêmement forte, sans
avoir jamais partagé l'occupation d'un même territoire, d'une
même langue, ni même, dans bien des cas, une même culture, il
est difficile d'envisager ce qu'il pourrait y avoir d'autre, qui
fasse que les juifs sont des juifs. Assurément, pour des juifs,
en l'absence d'autres facteurs, plus évidents, c'est précisément
une telle mentalité qui les a rendu capables d'acquérir leur
identité distinctive, depuis si longtemps, et en dépit d'une
telle adversité.
Mais, s'il existe bien une quelconque forme d'esprit juif ou
d'idéologie juive, de quoi s'agit-il ? En ce qui concerne le
judaïsme, je parle ici de la religion, il semble tout à fait
clair qu'il y a une idéologie, fondée sur l'élection d'Israël
par Dieu, cette relation spéciale que les juifs sont supposés
entretenir avec Dieu, et la mission spéciale confiée aux juifs
par Dieu. Aussi, pour les juifs pratiquants, il existe une
qualité spécifique, intrinsèque à l'alliance et au judaïsme
même, bien qu'ils ne soient pas tous unanimes à trouver cette
qualité particulièrement enthousiasmante :
« Il existe une tendance, dans la pensée juive, qui dit qu'il y
aurait quelque chose de spécial, de Divin, ou autre, qui se
serait transmis à travers les générations, formant une certaine
lignée génétique, et qui confèrerait une qualité particulière à
des gens, et que, par conséquent, la judaïté serait une qualité
spéciale. Pour ma part, j'appelle ça du racisme métaphysique ».
Le rabbin Mark Solomon.
Mais s'il est aisé de constater un tel esprit partagé chez les
juifs religieux après tout, n'est-ce pas précisément cet
esprit qui fait d'eux des religieux ? il est beaucoup plus
difficile, en revanche, de le définir chez les juifs laïcs, ces
juifs qui rejettent, souvent d'une manière on ne saurait plus
vocale, tous les aspects de la foi juive. Ils clament bien
souvent qu'ils n'ont pas d'idéologie, ou que leur idéologie est
une idéologie, disons, de gauche : non seulement cette idéologie
n'aurait rien de juif, mais elle serait même opposée à toutes
les religions, le judaïsme compris. Cependant, tout en étant en
apparence aussi libres de toute cette superstition ignorante,
ces mêmes personnes n'en continuent pas moins à se définir comme
juives, et dans bien des cas, elles épousent d'autres juifs et
continuent à assister à des réunions de solidarité, auxquels
n'assistent que des juifs, sous des bannières exclusivement
juives. Leur idéologie ne serait-elle pas un petit peu juive,
sur les bords ?
Pour moi, il s'agit d'exactement le même sentiment de
spécificité que celle que l'on trouve chez les juifs, mais avec
une référence spéciale à la victimitude. « Oui, mais seulement
au sens hitlérien du terme », répondit le philosophe Maxime
Rodinson après qu'on lui eut posé la question de savoir s'il se
considérait juif. Pour beaucoup de ces juifs-là, c'est leur
identité de peuple menacé et victimisé qui fait d'eux des juifs.
« Hitler a dit que j'étais juif, alors pourquoi ne serais-je pas
juif, après tout ? » est une réponse, ou encore « Etre juif,
quelque part, cela revient à dénier une victoire à tous ceux qui
ont pu persécuter des juifs, à travers l'histoire aussi : je
suis juif ! » Pour ces juifs, bien qu'ils soient totalement
étrangers à la vie religieuse juive, et même à la vie
communautaire juive, le célèbre 614ème commandement
post-holocaustique (à ajouter aux 613 commandements classiques)
créé par Emil Fackenheim : « Tu survivras ! » est un impératif
absolu. Mais, quelle que soit la raison, cette
auto-identification va vraiment très profondément en eux. Parmi
ces juifs, peu importe à quel point ils peuvent être de gauche
ou progressistes, vous pouvez critiquer Israël à la puissance N,
vous pouvez vous moquer de l'establishment juif, vous pouvez
même dénigrer effrontément la religion juive, mais dérogez ne
serait-ce que d'un iota à la ligne du parti en matière
d'antisémitisme et de souffrance juive, et vous aurez droit à
une soufflée dans les bronchesŠ Pour ces personnes pourtant
rationnelles, la souffrance juive et l'antisémitisme sont tout
aussi inexplicables, mystérieux et, partant, tabous qu'ils le
sont pour n'importe quel juif religieux.
La sécularité juive est souvent citée à titre de preuve qu'il
n'existerait pas d'identité juive agglutinée autour d'une
quelconque idéologie partagée. Après tout, si tous les juifs
adhèrent à la même idéologie fondamentale, comment se fait-il
donc que des juifs aussi nombreux, de toute évidence, n'y
adhèrent pas ? Et si tous les juifs défendent essentiellement
les mêmes intérêts, comment se fait-il qu'ils soient si
nombreux, de toute évidence, à ne pas le faire ? Mais est-ce si
évident ? Non seulement des juifs laïcs, très souvent, semblent
bel et bien adhérer à des notions juives telles l'élection, la
spécificité et la victimitude, mais aussi, dans leurs attitudes
vis-à-vis des non-juifs en général, et vis-à-vis des
Palestiniens en particulier, ils ne diffèrent absolument en rien
de juifs religieux.
On invoque souvent le grand nombre de juifs militant dans des
mouvements de solidarité avec les Palestiniens, et à quel point
la majorité de ces mouvements sont laïcs. Et c'est vrai : il y a
beaucoup de juifs qui sont en sympathie avec les Palestiniens,
et ces juifs sont très majoritairement laïcs, et dans sa flambée
principale, consécutive à 1967, le sionisme virulent s'est
trouvé associé à la droite religieuse. Mais cette tradition
juive laïque, en réalité, s'est trouvée aux premières lignes de
l'assaut sioniste contre les Palestiniens. Ce sont les sionistes
laïcs travaillistes qui ont créé l'idéologie sioniste et la
société « juifs seulement » pré-étatique. Ce sont des sionistes
laïcs de braves kibbutzniks, humanistes, de gauche qui ont
dirigé et mené à « bien » l'épuration ethnique de 750 000
Palestiniens, ainsi que la destruction de leurs villes et
villages. Ce sont des sionistes laïcs qui ont créé l'Etat
actuel, avec toutes ses pratiques discriminatoires ; et ce sont
des gouvernements largement laïcs qui ont maintenu les citoyens
palestiniens d'Israël sous gouvernement militaire, dans leur
propre pays, dix-huit années durantŠ Enfin, c'est un
gouvernement travailliste laïc qui a conquis la Cisjordanie et
la bande de Gaza, commencé à construire des colonies et embarqué
dans le processus d'Oslo, froidement planifié afin de tromper
les Palestiniens et de les amener à brader leurs droits
légitimes.
Eh bien, même ces juifs laïcs, qui soutiennent effectivement les
droits des Palestiniens, offrent dans bien des occasions une
solidarité limitée par leur intérêt propre. Que ces gens, au
moins autant que n'importe qui d'autre, agissent sous l'empire
de leurs motivations les plus élevées, est peut-être vrai.
Beaucoup ont été des militants, toute leur vie durant, de
multiples causes et beaucoup ont le sentiment que leur activisme
découle, consciemment ou inconsciemment, de ce qu'ils
considèrent être leurs idéaux les plus élevés inhérents à leur
judaïté. Mais, néanmoins, pour beaucoup d'entre eux, la
solidarité avec les Palestiniens signifie, avant tout, la
protection des juifs. Ils en appellent à la création d'un Etat
palestinien sur 22 % du territoire de la Palestine historique,
mais à seule fin de pérenniser et de protéger la « judaïté » de
l'Etat juif. L'Etat palestinien qu'ils appellent de leurs v¦ux
serait inévitablement faible, dominé par l'économie israélienne
et sous le feu des canons de l'armée israélienne on ne nous
fera pas croire qu'ils ne savent pas ce que cela signifie !
Meeting après meeting, discours après discours, tract après trac
et banderole après banderole, ces juifs dénoncent l'occupation.
« A bas l'occupation !Š A bas l'occupation !Š A bas l'occupation
!Š » Mais sur l'injustice inhérente à un Etat réservé aux seuls
juifs : pas un mot ! Peut-être, éventuellement, une mention du
butin bien mal acquis en 1948, mais rien sur le droit au retour
des réfugiés, aucune restitution. Peut-être, simplement une «
juste solution », prenant en compte, bien entendu, des «
préoccupations démographiques d'Israël ».. « Nous sommes avec
vousŠ Nous sommes avec vousŠ Nous sommes avec vousŠ »
disent-ilsŠ « maisŠ » Qu'il s'agisse de telle ou telle forme
prise par la Résistance palestinienne, qu'ils désapprouvent, ou
d'une occurrence réelle, ou perçue d'antisémitisme, pour ces
juifs, il y a toujours un « maisŠ ».
Ils devraient prendre de la graine chez un Henry Herskovitz. Il
appartient à une association, Les Témoins Juifs pour la Paix,
qui installe des vigiles silencieux devant les synagogues les
jours de Shabbat. Bien entendu, tous les autres militants juifs
lui gueulent après qu'il ne doit pas cibler les juifs dans ses
protestations, qu'il faut faire un distinguo entre les juifs,
les Israéliens et les sionistes, qu'il ne fera que s'aliéner les
gens que nous voulons mobiliserŠ Mais il n'en a cure. Il sait
que le soutien provenant des juifs consensuels, comme le
trotskiste Tony Cliff avait coutume de dire, « Š c'est comme du
miel sur ton épaule : tu le vois, tu le sens, mais tu ne pourras
jamais y goûter ! » Henry le sait, lui aussi, parfaitement, que
dire que les juifs, en Amérique, individuellement, et dans leurs
associations communautaires et religieuses ne doivent pas être
tenus responsables de ce qui est en train de se passer, c'est un
mensonge. Et que cela discrédite tous les juifs, aux yeux du
monde non-juif.
Ainsi, ces juifs laïcs finissent-ils bien souvent par n'être
qu'une énième tourné de ce que Michael Neuman a qualifié d' «
authentique jeu de bonneteau » de l'identité juive. « Regardez !
On est une religion ! Et non : on est une race ! Et hop ! Non :
on est une identité culturelle ! Désolés : on est de nouveau une
religion ! » La raison ? C'est là la clé pour maintenir le
pouvoir juif : il faut qu'il soit indéfinissable, il faut qu'il
soit invisible. Comme un bombardier « furtif » Stealth (vous ne
le décelez pas sur votre écran radar, mais vous êtes sûr que
vous l'aviez au-dessus de la tronche quand vous sautez), le
pouvoir juif, avec ses contours estompés et ses formes
changeantes, devient invisible. Et si vous ne pouvez pas le
voir, vous ne pouvez pas le combattre. Pendant ce temps-là,
l'agression contre le peuple palestinien continueŠ
« Les juifs »
L'expression « les juifs » est en elle-même terrifiante, à
cause de son association passée avec la discrimination et la
violence à l'encontre des juifs. Mais les juifs, eux-mêmes,
n'ont aucun problème à l'employer. La notion de peuple juif est
au centre de la foi juive, avec des juifs présentant tous les
degrés d'adhésion religieuse, voire pas du tout, affirmant
encore et toujours son existence. Elle est aussi au centre du
sionisme, même dans ses avatars les plus laïcs, et elle est
inscrite dans les textes fondateurs de l'Etat d'Israël. Le
concept a même reçu une approbation légale internationale quand
le peuple juif a été déclaré, par l'Etat allemand, les héritiers
de juifs intestats disparus, vivant dans l'après-guerre de
1939-1945. Et c'est néanmoins un article de foi absolu, pour
tout le monde, y compris au sein de mouvement de solidarité
(avec les Palestiniens), que nous pouvons critiquer et affronter
Israël et les Israéliens, mais nous ne pouvons pas critiquer et
affronter le peuple juifŠ A la différence d'Israël et de
n'importe quel autre pays, le peuple juif n'a pas de politique
commune, et toute critique à l'encontre du peuple juif ne
saurait, par conséquent, que viser ce qu'ils sont et n'ont pas
ce qu'ils font !
Mais le fait de parler des juifs faisant ceci ou cela est-il
plus ou moins acceptable que le fait de parler, disons, des
Américains ? Si l'armée américaine dévaste un pays du tiers
monde, elle le fait en fonction des ordres que lui a donnés un
gouvernement (un gouvernement, c'est un tout petit groupe), avec
l'entier soutien des élites gouvernantes (autre tout petit
groupe), le soutien tacite d'une partie conséquente de la
population (un groupe plus important), la désapprobation
silencieuse, probablement, de la majorité de la population (un
groupe très nombreux) et l'opposition d'une toute petite
minorité (un petit groupe). Les choses sont-elles si
différentes, chez les juifs ?
Peut-être. A la différence des Etats-Unis, « les juifs » ne sont
pas un corps légalement constitué, et ils n'ont pas une
politique commune évidente et définie. « Les juifs » n'ont pas
de leadership officiellement désigné, ils n'habitent pas une
région particulière, ils ne parlent pas une langue commune, ni
mêmes ils ne partagent une culture commune. Théoriquement, tout
du moins, il semble y avoir tellement de différences que cela
rend toute comparaison intenable. Dans la pratique, l'histoire
ne se résume pas à cela.
Il est vrai que « les juifs » ne constituent pas un corps
légalement reconnu. Mais le sionisme, avec sa prétention à
représenter tous les juifs, a rendu la question de plus en plus
confuse. Il est vrai, également, que les sionistes ne
représentent pas tous les juifs. Mais ils représentent bel et
bien les opinions de très nombreux juifs, vraiment très
nombreux. Et certainement aussi des juifs les plus puissants et
influents. Et il n'y a aucun doute que l'écrasante majorité des
juifs organisés soutiennent totalement le projet sioniste. Que «
les juifs » n'aient pas de leadership formellement désignés ne
signifie nullement qu'ils n'aient aucun leadership des corps,
à nouveau, auxquels l'écrasante majorité des juifs organisés
font acte d'allégeance : le gouvernement israélien,
l'Organisation sioniste mondiale [WZO] ; beaucoup de grandes
organisations juives puissantes, comme l'Anti-Defamation League
et la Conférence des Présidents des Grandes Organisations Juives
Américaines, le Centre Simon Wiesenthal ; des organismes moins
considérables, comme le Bureau des Députés Juifs Britanniques et
des associations analogues dans tous les pays où vivent des
juifs. Et puis, il y a le réseau très étendu des institutions
juives, souvent liées, via des synagogues, à l'ensemble du
spectre de la vie communautaire et religieuse juive. Toutes ces
institutions, avec leur vaste réseau interconnecté représentent
un leadership, et comment ! Ils ont des politiques clairement
définies, et ils sont sur un seul rang (on ne voit qu'une tête)
derrière le sionisme et Israël, dans leur agression contre les
Palestiniens.
Ceci est-il constitutif d'un collectif juif identifiable engagé
dans la promotion d'intérêts juifs ? Officiellement, peut-être
pas. Mais effectivement, quand on relève la remarquable
unanimité des intentions de toutes ces institutions, la réponse
est peut-être bien « oui ». Bien sûr, elles ne représentent pas
tous les juifs, et tous les individus juifs ne sont pas
responsables des agissements de ces institutions, mais
néanmoins, « les juifs » les juifs organisés, actifs et
efficients sont tout aussi responsables de la poursuite
d'intérêts juifs en Palestine et ailleurs que l'étaient « les
Américains » au Vietnam, « les Français » en Algérie et « les
Britanniques » en Inde.
Alors : pourquoi faudrait-il que notre réponse soit différente ?
Pourquoi « les juifs » ne seraient-ils pas aussi responsables
que « les Américains » et même pourquoi les juifs ordinaires ne
seraient-ils pas aussi responsables que les Américains de base ?
Pourquoi ne faisons-nous pas des sit-in devant les bureaux de
l'Anti-Defamation League, de la Conférence des Présidents, ou
devant les bureaux, et pourquoi pas devant le domicile, des Abe
Foxman, Edgar Bronfman et autres Mort Zuckerman, aux Etats-Unis,
ou Neville Nagler, en Angleterre ? Pourquoi ne harcelons-nous
pas Alan Dershowitz, aux Etats-Unis, ou Melanie Phillips, au
Royaume-Uni ? Qu'en est-il du grand rabbin d'Angleterre, qui, en
son temps, avait tellement de choses à dire sur Israël et la
Palestine ? Pourquoi ne portons-nous pas la lutte devant la
moindre synagogue et le moindre centre communautaire juif, où
que ce soit, dans le vaste monde ? Après tout, chaque prière de
shabbat est dite pour l'Etat d'Israël, dans chaque synagogue
majoritaire du pays, dont la plupart sont des points de
ralliements pour la propagande et les fêtes de charité sionistes
destinées à recueillir des fonds. Alors : pourquoi ces juifs qui
choisissent délibérément de mélanger leurs prières et leur
politique jouiraient-ils d'une immunité totale, quand et parce
qu'ils font leur prière, de nos protestations légitimes contre
leur politique ? Quand à ces rares juifs qui se préparent
réellement à se lever et à ce qu'on puisse compter sur leur
solidarité avec les Palestiniens, pourquoi ne pouvons-nous
toujours pas leur manifester la déférence et le respect que nous
leur devons, comme nous l'avons fait pour ces rares Américains
qui se sont opposés à l'impérialisme américains et pour ces
quelques Blancs sud-africains qui se sont opposés à l'apartheid
?
La réponse est simple : nous avons peur. Même en sachant que les
juifs sont des gens responsables, qui devraient donc être tenus
pour tels, et à qui par conséquent nous devrions demander des
comptes, nous sommes effrayés. Nous avons peur, parce que la
critique des juifs, en raison de son histoire terrible de
violence et de discrimination, semble tout simplement une
position trop dangereuse pour être prise elle risquerait de
donner libre cours à une déferlante de haine anti-juive. Nous
avons peur, si nous nous mettions à contester le rôle des juifs
dans ce conflit, et dans d'autres régions, et si nous nous
mettions à tenir les juifs responsables pour responsables, de
risquer d'être qualifiés d'antisémites, et de perdre tout
soutien. Et, peut-être par-dessus tout, nous avons peur des
passions en conflit à l'intérieur de nous-mêmes, qui nous
surprennent et nous désarment, dès lors que nous commençons à
nous pencher sur la réalité des problèmes.
Le fait de dire la vérité sur l'identité juive, le pouvoir juif
et l'histoire juive, entraîne-t-il inéluctablement le fait que
des juifs soient traînés dans des camps de concentration et des
crématoires ? Bien sûr que non ! C'est la haine, la peur et la
suppression de la liberté de pensée et de parole qui conduisent
à ces horreurs-là que la haine, la peur et la censure soient
dirigées contre les juifs, ou qu'elles soient commandées par des
juifs. Quoi qu'il en soit, en dépit des efforts pour nous
convaincre du contraire, nous ne vivons plus au treizième
siècle. Il est fort improbable que les Californiens sortent un
jour de leurs salles de cinéma, après avoir vu la Passion du
Christ de Mél Gibson, chantant « Mort aux juifs ! » sur l'air
des lampionsŠ Et, en des temps où des juifs, en Israël /
Palestine, soutenus par l'écrasante majorité des organisations
juives en Occident, sont en train de profaner des églises et des
mosquées en gros et d'oppresser grossièrement des populations
chrétiennes et musulmanes entières, on nous pardonnera de
l'avoir saumâtre quand nous assistons à un branle-bas de combat
pour quelques graffitis, quelque part, sur le mur d'une
synagogue.
Si nous nous mettions à marcher dans les brisées des juifs, dans
ce conflit, on aurait vite fait d'être taxés d'antisémitisme et
nous perdrions vraisemblablement, tout du moins, au début, nos
soutiens. La malédiction d'antisémitisme sert depuis si
longtemps à effrayer et à réduire au silence toute critique
envers les juifs, Israël et le sionisme, et elle serait à coup
sûr utilisée, pour discréditer la cause que nous défendons. Mais
quoi ? Ils nous traitent d'antisémites, d'ores et déjà, alors
qu'avons-nous à perdre ? Edward Said a consacré sa vie à se
frayer un chemin dans le champ de mines Israël / sionisme /
judaïsme, et il n'a pas une seule fois critiqué les juifs. Cela
n'a pas empêché qu'il soit vilipendé pour son « antisémitisme »
durant toute sa trop brève vie. Et même après sa mort, cela
continue ! En tant que mouvement, nous avons probablement passé
au moins autant de temps à être gentils avec les juifs qu'à
élever la voix pour défendre les Palestiniens. Et tout ça, pour
quoi ? Qu'est-ce que cela nous a rapporté ? Nous ne sommes pas
racistes et nous ne sommes pas antisémites, alors qu'ils fassent
donc le pire, ça ils savent faire ! Quant à nous, disons le fond
de notre pensée !
Cela fait désormais tellement longtemps qu'on dit aux gens que
noir, c'est blanc et non seulement ça, mais si quelqu'un
s'avisait de nier que noir c'est blanc, il serait immédiatement
dénoncé pour antisémitisme, avec toutes les pénalités
afférentesŠ On nous maintient dans un cul-de-sac moral et
intellectuel, dont la finalité est de réduire au silence toute
critique du pouvoir israélien et juif. En disant l'indicible,
nous pouvons nous libérer nous-mêmes, et libérer autrui. Et
pensez-y : quelle ne sera pas votre satisfaction, la prochaine
fois où on vous taxera d'antisémitisme, de pouvoir répondre : «
Eh bien, je n'en sais rien. Mais j'ai des critiques très fortes,
mais légitimes à faire aux juifs et à la manière qu'ils ont de
se comporterŠ et j'ai bien l'intention de le faire savoir » ?
Et puis, on ne sait jamais. Qui sait : vous pourriez être
agréablement surpris. Israël Shamir, qui n'a aucun problème à
appeler un juif un juif, a été spontanément fêté, récemment,
lorsqu'il s'est présenté, depuis la salle, lors d'un meeting de
solidarité, à Londres ? J'en ai le témoin direct. Son premier
livre en anglais venait d'être publié ; Shamir correspond
librement avec de nombreux intellectuels respectés, et il
appartient au conseil d'administration de l'Association pour Un
Etat Unique et Démocratique en Palestine ainsi qu'à celui de
Deir Yassin Remembered. Peut-être s'agit-il tout simplement
d'une nouvelle histoire de vêtements du roi : on va peut-être se
rendre compte que le roi est nu ! ? ! Peut-être n'attendons-nous
plus qu'un enfant innocent donne le coup de sifflet qui nous le
fera remarquer ?
La situation à laquelle le peuple palestinien est confronté est
absolument terrible. Les vieilles stratégies politiques ne nous
ont menés nulle part. Il nous faut un débat nouveau et élargi.
Peut-être un discours nouveau, et crédible, qui mette les juifs
et la judaïté au centre critique de nos discussions fait-il
partie des solutions ?
Et, encore ceci : dans un article précédent, paraphrasant Marc
Ellis, j'écrivais :
« Aux chrétiens et pour l'ensemble du monde non-juif, les juifs
disent ceci : « Vous présenterez des excuses pour la souffrance
juive, encore et encore et encore. Et quand vous vous serez
excusés, vous vous excuserez encore. Quand vous aurez assez
présenté d'excuses, nous vous pardonneronsŠ à condition que vous
nous laissiez faire ce que bon nous semble, en Palestine ! »
Shamir m'a pris au mot. « Eisen pêche par optimisme », a-t-il
commenté, ajoutant : « La Palestine n'est pas l'objectif ultime
des juifsŠ Leur objectif ultime, c'est le monde. »
Eh bien, je n'en sais rien. Mais si, comme cela semble
aujourd'hui vraisemblable, la conquête de la Palestine est
terminée et l'Etat d'Israël s'étend de Tel Aviv jusqu'au
Jourdain, à quoi pouvons-nous nous attendre ? Les juifs
d'Israël, soutenus par les juifs en-dehors d'Israël, vont-ils
désormais respecter le droit, vivre pacifiquement à l'intérieur
de leurs frontières et jouir des fruits de leur victoire, ou en
voudront-ils encore plus ? A qui le tour, maintenant ?
[M. Paul Eisen est le président de l'association Deir Yassin
Remembered.]
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