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Beaucoup de bruit pour rien (euh… pour Gaza !)

par Israël Shamir

25.08.2005

Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier

 

[Le retrait fait partie du jeu : ce genre de retrait est toujours suivi d’une intrusion, comme dans un viol]

 

« L’Anglais se tire sans dire au revoir ; le juif dit au revoir mais ne se tire pas », dit une blague juive.

 

C’est exactement ce qui se passe avec les retraits israéliens de Bethléem, de Ramallah… ou encore aujourd’hui – la totale ! – le désengagement de Gaza ! Voici une quinzaine de jours, l’armée israélienne a (pardon : avait) évacué Tulkarem, avec tambours et trompettes. Les journaux ont évoqué une « mesure d’établissement de la confiance » que les Palestiniens auront bien du mal à justifier. Quelques jours après, des tanks israéliens envahissaient à nouveau Tulkarem ; ils ont tué quelques policiers palestiniens de sang froid, emmené une cargaison de prisonniers…, après quoi ils étaient prêts pour le prochain retrait fortement médiatisé… Nous avons vu ce film tellement de fois qu’il faudrait vraiment que nous soyons mordus de ce genre de navets pour apporter la moindre attention au show de Gaza, généreusement sponsorisé par Ariel Sharon.

 

Le désengagement de Gaza est nul. C’est le non-événement type, même si on veut nous faire prendre ça pour un grand événement. Ce retrait n’est pas le premier, et ce ne sera certainement pas le dernier. L’histoire de la Palestine regorge de retraits de Gaza : on en a treize à la douzaine… Je me souviens même d’un retrait de Gaza, déjà, en 1956. Mais ceux dont la mémoire ne remonte pas si loin dans le temps se rappellent probablement du tapage fait autour du retrait israélien de Gaza en 1993, conformément aux accords d’Oslo. Il y eut beaucoup de controverses : allait-il s’agir d’un « Gaza d’abord », ou d’un « Gaza et Jéricho d’abord » ? Après beaucoup d’acrimonie, les Palestiniens ont « eu » Gaza et Jéricho. Il s’est en définitive avéré qu’Israël accordait quelque autonomie de prisonnier à ce qui allait devenir le Camp de Concentration de Gaza et la Prison à Ciel Ouvert de Jéricho, qui ne déparent en rien le Pénitencier Cinq Etoiles pour Grosses Légumes de Ramallah.

 

Le désengagement est une bouffonnerie, mais le mur, lui, est bien réel. L’agence d’information israélienne a annoncé que « l’armée israélienne devrait ériger une nouvelle barrière de sécurité autour de la bande de Gaza. Lorsque cette construction sera achevée, le système de sécurité comportera trois barrières, des détecteurs électroniques et optiques dernier cri ainsi que des mitrailleuses télécommandées. Le système devrait être achevé en moins d’un an, pour un coût global de 220 millions de dollars » (qu’acquittera bien entendu le contribuable américain).

 

Au cas où, pour une raison ou une autre, les prisonniers deviendraient rétifs, Israël dispose d’assez d’avions pour les bombarder jusqu’à résipiscence, sans envoyer un seul de ses soldats. Le désengagement est bon pour l’Israël de Sharon, car il lui permet de réduire les dépenses, de réduire les périodes que les réservistes doivent consacrer à l’armée, et qui sont très impopulaires, et de rendre la surveillance du Camp de Concentration de Gaza beaucoup plus aisée. Ce n’est pas là un secret : les officiels israéliens l’ont dit et répété.

 

Notre ami Uri Avnery a exhorté la résistance palestinienne à « ne pas apporter de l’eau au moulin de Sharon » et à s’abstenir de toute activité militaire jusqu’à ce que le retrait ait été mené à bien. La triste réalité, c’est que les Palestiniens n’ont pas le choix. S’ils se tiennent cois, ils se retrouveront emmurés derrière les hautes murailles de Gaza. Et s’ils se conduisent mal, ils seront bombardés, étrillés et ils se retrouveront emmurés derrière les hautes murailles de Gaza. Il n’y a pas de carotte – juste un gros bâton.

 

Quant à notre ami Ilan Pappe, il nous a prévenus de possibles massacres à grande échelle dans la bande de Gaza après l’achèvement du retrait. Il nous a exhortés à « garder Gaza à l’œil ». Mais je doute qu’il se passe quelque chose d’aussi dramatique. Il y a trop de gens, à Gaza, pour les exterminer. Il n’y a pas non plus d’endroit vers où les expulser. Mais il n’y a pas le feu au lac : on aura des Palestiniens captifs sous la main en vue de toute action punitive, dès que le besoin s’en fera sentir.

 

Le retrait fait partie du jeu : ce genre de retrait est toujours suivi d’une intrusion, comme dans un viol. La bande de Gaza restera une prison, privée qu’elle sera y compris de tout lien vers la liberté, tant par air que par mer. Mais se focaliser sur les accès serait une grave erreur : pour les Gazaouis ordinaires, une liaison aérienne ne nourrira pas leur famille. Gaza ne peut vivre en complète autarcie. Aucune ville ne le peut. Pas plus Gaza que Tel Aviv, ou même Londres. Les habitants de Gaza auront de rares opportunités de gagner leur vie en travaillant les champs qui appartenaient à leurs familles, car les exploitants israéliens préfèrent les Thaïlandais, meilleur marché et très peu exigeants. Gaza deviendra le lieu d’exil préféré des activistes palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem. Une grande prison. Que dis-je ? Un gigantesque cimetière.

 

Dernièrement, je suis allé dans le village biblique de Béthanie, près de Jérusalem, où la profonde tombe de Lazare, creusée dans la roche, rappelle pour l’éternité la capacité qu’a la foi de ressusciter fût-ce l’âme puante de putréfaction d’un  homme enfoui sous une épaisseur considérable de pierre et de maçonnerie. C’est là un symbole puissant et particulièrement pertinent, car il existe des forces qui apportent la mort spirituelle à des âmes, en les emmurant dans la recherche des biens matériels et en occultant le rayonnement de Dieu. Mais la spacieuse et lisse autoroute vers Béthanie était, abruptement, coupée par cette gigantesque monstruosité qu’est le mur : des plaques de béton de huit mètres de hauteur coupaient la route et cachaient le soleil. Une inscription, à la bombe de peinture : « Bienvenue au Ghetto de Béthanie ! »

 

Derrière le mur, des enfants palestiniens aux yeux bleus et bronzés, tirés à quatre épingles dans leurs vêtements du dimanche, regardaient, les yeux écarquillés et incrédules, une équipe d’ouvriers israéliens qui dressaient, inlassablement, les plaques de béton qui les ensevelissaient dans leur village. Ils m’ont rappelé un conte gothique d’Edgar Allan Poe, au sujet d’un Espagnol vindicatif qui avait emmuré sa victime vivante dans une cave de son château après l’y avoir attirée en lui proposant une dégustation de son vin muscat. Il avait posé brique sur brique, versé du mortier avec délectation, murant solidement l’entrée de ce recoin, tandis que l’incrédulité, dans les yeux de la victime qui prenait conscience de ce qui se passait, se muait en horreur. Ses lèvres murmurèrent : « Muscat ! », tandis que la dernière brique l’emmurait et le condamnait à une mort lente et horrible dans l’obscurité du cellier. Poe savait que nous redoutons plus l’ensevelissement que la mort elle-même.

 

Nous ne pouvons pas empêcher Israël d’enterrer un million de Gazans. Mais nous pouvons et nous devons empêcher Israël de gagner des plumes à accrocher à son chapeau par cette action infâme. Merci de rien, Général Sharon. Vous commettez le forfait de Zimri, et vous exigez la récompense du juste Phineas, comme disent les gens versés dans la Bible. Nous devons nous occuper de ceux qui lui permettent de vendre son redéploiement en nous le présentant comme un grand sacrifice : les gens des médias. Au lieu de regarder en face un million d’êtres humains se faire emmurer vivants, la vaste machine des médias juifs mondiaux, depuis le New York Times de Sulzberger jusqu’au journal Libération de Rothschild, se focalise sur « le calvaire des colons ». Nouvelle foutaise. Le mois dernier, les Israéliens ont détruit le village de Tana, dont ils ont chassé les habitants, pratiquement sans que les médias n’en parlent. Mais les larmes de chaque colon sont rapportées avidement et servies aux téléspectateurs du monde entier.

 

Personne ne pousse ces colons à partir, si ce n’est leur propre gouvernement. Ils peuvent rester, en tant que citoyens égaux, à Gaza. Probablement seraient-ils même autorisés à conserver la plus grande partie de leurs biens mal acquis. L’Autorité palestinienne serait peut-être bien avisée de le déclarer publiquement. Le tapage médiatique autour du retrait est organisé afin d’imposer l’idée que des juifs ne peuvent vivre avec des goyim. Hélas, cette idée est soutenue par des militants pacifistes juifs. Ainsi, Michel Warshawski a déclaré que « la priorité des forces anti-occupation doit être de dénoncer la politique de colonisation et de la combattre… d’imposer à Israël un gel immédiat et total de ses activités de colonisation, y compris le mur et les routes de contournement et de créer, sous l’égide de l’Onu, un Observatoire International du Gel des Colonies, mandaté pour faire mettre en application ce gel. »

 

L’appel de Warshawski équivaut au concept de séparation de Sharon, vu depuis la gauche. Il est contre le fait que le mur soit érigé au-delà de la Ligne verte ; par conséquent, le mur de Gaza devrait parfaitement lui convenir. Mais c’est trop peu, trop tard, d’exiger un gel qui ne vient jamais, pour les murs en train d’être érigés sur le tracé de vieilles lignes d’armistice.

 

La « lutte contre l’occupation » est devenue le leitmotiv de l’élite sioniste.

 

Mais il n’y a qu’une seule solution : au lieu de déménager des colons et de construire encore et toujours de nouveaux murs, il faut intégrer Gaza et la Cisjordanie à Israël, verrues comprises.

 

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