Entre la Victoire
(des uns) et la défaite (des autres)
par Israel Shamir
Dimanche 13 août 2006, 22 h 22 GmT
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier,
membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs
pour la diversité linguistique (www.tlaxcala.es).
Cette traduction est en Copyleft.
Nous
entrons dans une période absolument cruciale.
Nous sommes en effet à la croisée des destinées
– nous allons connaître des temps où nos actions
(ou nos inactions) seront susceptibles de
déterminer notre futur et celui de nos enfants,
pour des années. Des combats, sans doute les
plus acharnés, se déroulent en ce moment même au
Liban : une petite force de la Résistance – deux
mille hommes au commencement de la guerre, et
sans doute beaucoup moins aujourd’hui – se tient
prête dans ses retranchements face à l’assaut
d’une armée suréquipée forte de trente mille
hommes, qui passe à l’offensive en dépit de la
résolution de l’Onu imposant un cessez-le-feu. A
elle seule, la survie des hommes de la
Résistance signifiera leur victoire.
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La
résolution de l’Onu – écrite par les Etats-Unis, et
approuvée par Israël – est profondément injuste : les
troupes de l’Onu seront stationnées, non pas en Galilée,
afin de protéger le Liban de la furie juive, mais au Sud
Liban, afin de protéger le puissant voisin… C’est l’agressé,
qui tente de se défendre, qui sera désarmé, et non pas
l’agresseur. C’est injuste. Mais, injuste, ça ne l’était
sans doute pas encore suffisamment, aux yeux des juifs : à
peine cette résolution venait-elle d’être adoptée, que
l’armée israélienne fonçait, afin de s’emparer d’autant de
terrain possible avant l’heure officielle du cessez-le-feu.
C’était là un tour pendable, violant totalement l’esprit de
la résolution de l’Onu, mais qui en respectait
scrupuleusement la lettre. A propos de ce genre de
magouille, les juifs disent : « C’est casher, mais ça
pue ! »
La
décision prise par le gouvernement israélien a été
authentiquement orwellienne, voire schizophrénique :
accepter le cessez-le-feu TOUT EN poursuivant à fond la
caisse la conquête du Sud Liban ? ! ? D’après les
éclaircissements donnés par le commandant de l’armée
israélienne pour la région Nord, Israël a l’intention
d’encercler le Sud Liban et d’y continuer le combat y
compris APRES le cessez-le-feu. Il a appelé ça : « la
nécessité de nettoyer les terroristes ». Sayyed Nasrallah,
le chef du Hizbullah, a juré de son côté de combattre
l’envahisseur sur le terrain, tout en acceptant le
cessez-le-feu.
Dès
lors, il y a peu de chances que l’invasion israélienne du
Liban et les combats qui en ont découlé prennent fin de
sitôt. Aujourd’hui, Israël a bombardé la dernière route qui
reliait encore le Liban à la Syrie sa voisine, et les civils
libanais ont de ce fait perdu leur dernière chance de
s’échapper. Cette mesure, associée à un largage massif de
troupes parachutées au bord du Litani, vise à couper les
voies d’approvisionnement nécessaires aux combattants
libanais terrés sur le champ de bataille, tandis que les
troupes israéliennes, elles, bien entendu, sont
réapprovisionnées en permanence par Washington. La
participation américaine à la guerre ne se limite pas au
soutien diplomatique total et aux fournitures militaires
apportés par Washington à Israël : allant jusqu’à mettre ses
propres troupes en Irak en danger, le Pentagone a déplacé
ses satellites espions géostationnaires de la verticale de
Bagdad jusqu’au ciel du Liban, cette manœuvre ayant
nécessité un transfert massif de soldats états-uniens vers
Bagdad.
De
plus, d’importants juifs américains amis d’Israël, à
Washington, ont appelé le gouvernement israélien à se battre
pour vaincre, car un Israël non-victorieux, l’Empire n’en a
nul besoin. L’éditorialiste du Washington Post Charles
Krauthammer a ainsi écrit, cette semaine : « … La quête
d’une victoire à bon marché par Olmert a mis en danger non
seulement l’opération au Liban, mais tout autant la
confiance placée en Israël par l’Amérique. » Max Boot,
membre du Conseil des Relations Extérieures, a écrit, dans
le Los Angeles Times : « La Syrie est faible, et elle est
juste à côté. Pour sécuriser ses frontières, Israël doit
frapper le régime [du Président Bashar] al-Assad. » Les
juifs américains exigent la guerre, et la victoire
d’Israël : « La juiverie américaine [doit] se comporte[r]
comme un Etat totalitaire communiste, dès lors qu’il s’agit
de guerres juives », a pu écrire un éditorialiste de Tikkoun,
une publication jadis réputée progressiste.
Les
exhortations belliqueuses venues de la mouvance du Jinsa
sont liées à la chute d’une première victime juive
américaine du conflit. En effet, Joseph Lieberman, un
belliciste démocrate éminent, vient de perdre les élections
primaires, dans l’Etat du Connecticut. Les ondes sismiques
émises par sa défaite ont menacé la base bipartisane du
soutien à Israël au Congrès. Le Président Bush a exprimé sa
sympathie à ce soi-disant « démocrate » totalement dévoué à
Israël et à la guerre au Moyen-Orient. Les forces
pro-guerre, aux Etats-Unis, flairant le danger, ont
intensifié leurs efforts visant à étendre la guerre à
l’ensemble du Moyen-Orient.
Ces
forces ont de nombreux alliés en Israël, dont le leadership
est en train de ressasser sa déculottée militaire dans ce
qui était supposé devoir être une brillante campagne éclair,
et cherche un bouc émissaire. Les généraux blâment le
gouvernement, qui leur aurait dénié leur totale liberté de
mouvement, et ils bougonnent, évoquant un coup d’Etat ; des
ministres blâment l’armée ; des officiers du renseignement
affirment – contre toute vraisemblance - qu’ils avaient
prévu ce qui allait advenir. Le Premier ministre Olmert doit
partir, a exigé Ari Shavit, un des principaux éditorialistes
du quotidien Ha’aretz, devenu un néo-fasciste « né deux
fois », et qui a accusé le libéralisme israélien de la
responsabilité de la défaite ; tandis qu’un encart payé, à
la une du Ha’aretz, ce quotidien réputé progressiste,
exhorte « Ehud [Olmert] et Amir [Péretz] à vitrifier
l’Iran ! »
Cette requête risque malheureusement encore d’être
satisfaite, même si le blitzkrieg n’a pas si bien marché que
cela, au Liban. Les missiles du Hizbullah représentaient une
contre-menace pour Israël : ils risquaient d’être activés en
cas de déclenchement d’une attaque israélo-américaine contre
l’Iran et la Syrie. Désormais, la menace de ces missiles
étant écartée – et après un repos et un réarmement
réparateurs – les Israéliens risquent de continuer la mise
en application de leurs plans visant à rayer Damas et
Téhéran de la carte. Telle est, en tout état de cause, la
seule raison vraisemblable de leur acceptation d’un
cessez-le-feu.
Le
cessez-le-feu, c’est l’arme secrète d’Israël. Dès lors que
« Tsahal » prend sa baffe, les juifs mettent en branle
l’arme secrète et gagnent une mi-temps, et une opportunité
de reprendre les combats, à leur convenance, après s’être
réarmés et reposés. L’arme du cessez-le-feu avait été
utilisée pour la première fois en 1948, les Nations Unies le
déclarant à deux reprises, associé à un embargo sur les
armes. Les deux fois, l’Etat juif naissant a tiré un maximum
de profit de ces deux cessez-le-feu : les livraisons d’armes
aux Palestiniens étaient frappées d’embargo, tandis que les
juifs recevaient des cargaisons d’armements sophistiqués du
gouvernement (à déguisement stalinien, mais très largement
juif) de Prague. Réarmés et rafraîchis, les juifs reprirent
leur offensive, quand ils furent prêts pour cela, et ils
écrasèrent la résistance palestinienne.
Le
cessez-le-feu fut à nouveau déclenché en 1973 : il sauva
alors l’Etat juif d’une défaite annoncée, en permettant à
l’administration américaine, sous la houlette de Kissinger,
de réarmer les Israéliens, tout en les autorisant à violer
ledit cessez-le-feu dès lors qu’ils le jugeraient opportun.
La stratégie du coup du lapin à base de cessez-le-feu a été
intégrée dans les plans de guerre israéliens dès le début de
la Guerre au Liban – Le Retour. Les juifs ont bombardé les
civils, au Liban. Si le massacre de Cana est le plus
notoire, il y a eu des dizaines de Canas, de la même manière
qu’en 1948 le massacre de Deir Yassin n’a été que le plus
célèbre de toute une série de massacres [perpétrés en
Palestine]. La population civile israélienne a souffert,
elle aussi, mais ce sont les Palestiniens de la Galilée [les
« Arabes israéliens »] qui ont le plus souffert, parce que
l’artillerie israélienne bombardait le Liban depuis leurs
villages quasiment dépourvus d’abris, en espérant (et en
causant immanquablement) des tirs en retour, à la grande
joie des nationalistes juifs.
Quand la conscience mondiale exigea qu’il fût mis fin au
massacre des innocents, Israël posa son ultimatum, par
l’intermédiaire de sa superpuissance alliée, les Etats-Unis,
disant, en substance : « Si vous voulez que les tueries
s’arrêtent, alors, s’il vous plaît, faites notre [sale]
boulot à notre place : désarmez la résistance, imposez
l’embargo à ses fournitures d’armes, re-colonisez le Liban,
afin que, quand nous serons en mesure de reprendre la
guerre, le Liban nous tombe entre les mains, comme un fruit
mûr. »
Seuls la ténacité et le courage des combattants du Hizbullah
ont amené les Français à améliorer un tout petit peu le
projet de résolution israélo-américain ; néanmoins celui-ci
est à peu près aussi généreux que les conditions du prêt
stipulées par Shylock [allusion au tristement célèbre
personnage de Shakespeare, dans Le Marchand de Venise, ndt].
Le
Conseil de Sécurité m’a fait penser à cet arbitre d’une
nouvelle brève de Jack London – Le Mexicain :
Le
personnage principal de cette nouvelle, un garçon mexicain
souple et agile, Rivera, doit combattre un grand boxeur
catégorie poids lourds, Danny, une sorte de Tyson de
l’époque, afin de remporter un prix richement doté qui lui
permettra d’acheter des fusils pour la Révolution. Au début,
Rivera attaque : « On ne saurait qualifier cela de combat.
Ce fut une boucherie, un massacre. Danny, à n’en pas douter,
montrait ce dont il était capable – splendide démonstration.
Le public était tellement sûr de son pronostic qu’il ne
remarqua même pas que le jeune Mexicain tenait encore
debout. Le public avait carrément oublié Rivera… Il faut
dire qu’il ne le voyait que de temps à autre, tellement il
était enveloppé par l’attaque anthropophage de Danny. C’est
alors qu’il se produisit une chose stupéfiante : Rivera
était debout. Mais seul ! Danny, le redoutable Danny, était
sur le dos. L’arbitre faisait des va-et-vient entre eux
deux, et Rivera put soupeser à quel point les secondes qu’il
comptait étaient interminables. Tous les Gringos étaient
contre lui, arbitre compris. A « neuf », l’arbitre repoussa
Rivera d’un geste brusque. C’était injuste, mais cela permit
à Danny de se relever. » Puis, à chaque occasion,
« l’arbitre s’affaira, décollant Rivera de Danny afin que
celui-ci puisse le rouer de coups de poing, donnant à Danny
tous les avantages qu’un arbitre partial est en mesure
d’accorder », poursuit Jacques London. Pourtant, en dépit de
ces avantages, Tyson fut battu. La ténacité et la pugnacité
du svelte Mexicain lui permirent de vaincre son adversaire
avant que l’arbitre et les policiers n’aient pu lui voler la
victoire.
Les
Libanais et les Palestiniens peuvent encore remporter la
victoire, malgré la puissance énorme d’Israël et de
l’Amérique. Mais, dans la « real politique », il est inutile
de pousser à la victoire : nous pouvons nous satisfaire d’un
modus vivendi. De plus en plus d’Israéliens sont en train de
dessaouler, y compris le mouvement La Paix maintenant !, qui
a soutenu la guerre depuis le début. Le principal danger
continue à provenir des sionistes extrémistes américains,
qui sont prêts à se battre, depuis leurs chaises longues,
jusqu’au dernier Israélien. Il faut absolument que leurs
concitoyens leur jettent un seau d’eau froide, pour les
ramener à la raison. En Israël, l’intoxication belliqueuse
est certes en train de s’évaporer, mais pas encore
suffisamment vite. Les destructions, au Liban, sont
indescriptibles : des reporters israéliens les comparent au
Berlin de 1945. Des dizaines de combattants israéliens et
libanais, et beaucoup de civils israéliens et libanais sont
en train de mourir, en ce moment même, à cause de la
tentative désespérée de marquer d’ultimes points déployée
par les dirigeants israéliens. Les Israéliens meurent en
vain, envoyés à la mort par leurs dirigeants.
Il
ne faut pas que le gouvernement israélien soit récompensé
pour son inconduite. Les résolutions du Conseil de Sécurité
sur le Liban appellent au désarmement des forces non
autorisées par le gouvernement de Beyrouth. Aussi les
dirigeants libanais devraient-ils intégrer le Hizbullah dans
leur Etat et dans leur appareil militaire, ce qui couperait
court immédiatement au complot sioniste. Les Libanais
peuvent prendre de la graine du précédent de 1948, année où
les organisations terroristes juives (Palmach, Haganah,
Etzel, notamment) avaient été incorporées et intégrées à
l’armée israélienne. Le Hizbullah a démontré sa puissance,
sa capacité de combattre l’ennemi et de cacher son jeu, en
serrant ses cartes sur sa poitrine. Il s’agit là de qualités
non négligeables.
Cela, le Président maronite du Liban, Emile Lahoud, l’a bien
compris, lui qui a répondu aux jérémiades sionistes
habituelles d’un journaliste occidental d’une manière très
favorable au Hizbullah : « Le Hizbullah, c’est cette force
qui a été capable de libérer les territoires du Sud du
Liban, en 2000. Notre armée est une armée nationale, or la
résistance est une résistance nationale. Vous voudriez que
l’armée de la Nation désarme la résistance nationale,
laquelle est complémentaire de l’armée, même si elle opère à
partir d’une autre salle de commandement des opérations ?
Pas question ! »
Mais
il est une autre grande victoire du Hizbullah, qui est
d’avoir su cicatriser la querelle entre Sunnites et Chiites,
cette querelle qui a été suscitée et entretenue par
Al-Qa’ida. Ce groupe nébuleux, basé en Afghanistan, créé par
les Etats-Unis afin de combattre les Soviétiques dans les
années 1980, était restée dans la naphtaline, jusqu’en 2001,
année où les décideurs de la politique américaine ne le
ressuscitent au moyen des attentats du 11 septembre, même si
encore aujourd’hui – bientôt cinq années après – son
implication dans ces attentats n’a pas été démontrée. Quels
que soient les auteurs des attentats contre les Tours
Jumelles du World Trade Center et contre le Pentagone (et on
ne sait pas qui ils sont), ils se sont attiré une vague de
sympathie auprès des désenchantés du Nouvel Ordre Mondial,
de Paris à Téhéran et de Moscou jusqu’en Oklahoma. Les
Maîtres du Discours s’inquiétaient du fait que cette immense
moisson ne risque de tomber aux mains d’un groupe capable et
dangereux (pour eux) (non nécessairement musulman) et ils
ont préféré l’offrir à leur création domestiquée : Al-Qa’ida.
Depuis lors, Al-Qa’ida a montré qu’elle était un outil
précieux pour les Américains : elle n’a pourtant rien fait
de particulièrement digne d’être mentionné : elle a décapité
des touristes, en filmant leur décapitation ; elle a fait de
son pire afin de susciter une guerre de religions entre
Sunnites et Chiites en Irak, faisant sauter des bombes dans
des mosquées et tuant des pèlerins. Elle a su attirer des
jeunes gens valeureux et audacieux, sur la base de ses états
de service en septembre 2001 – mais elle les amenés à leur
perdition.
L’ascension du Hizbullah est venue défier ces petits
arrangements entre soi. Au lieu de se battre contre ses
coreligionnaires musulmans, le Hizbullah se bat contre
l’Empire judéo-américain. Diamétralement opposé à cette
fausse qu’est Al-Qa’ida, le Hizbullah est une résistance
authentique, qui mène une vraie guerre : il ne s’arrête
jamais de combattre pour poser devant les caméras de
télévision. Les jeunes hommes inspirés, désireux de
combattre pour une juste cause, se sont par conséquent
tournés vers Nasrallah.
Les
pantins sans âme d’Al-Qa’ida ont appelé leurs ouailles à
combattre le Hizbullah, mais en vain. La querelle intestine
entre Sunnites et Chiites s’estompe, et la majorité sunnite
du monde arabe a préféré Sayyed Nasrallah, le Défenseur des
Opprimés, à ces imposeurs de loi islamique (shari’a) que
sont Ben Laden et Al-Zarqâwî.
Quant au Complot des Poudres d’Heathrow, il ne s’agit
apparemment que d’une tentative désespérée déployée par les
patrons d’Al-Qa’ida afin de redorer la gloire défraîchie de
leurs créatures en tentant de démontrer qu’ils ne sont pas
totalement éteints.
La
bonne raclée administrée par le Hizbullah [à l’armada
sioniste] aura de sérieuses conséquences bien au-delà du
Liban : elle va réunifier l’Orient, contre l’Empire.
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