Le
Vrai Visage du Christ
(par Paul Badde, DIE WELT, Berlin)
Quel
visage avait le Christ? Ressemblait-il а l`acteur
l'incarnant dans le film de Mel Gibson ou а ces
portraits de Dьrer, El Greco et d'autres qui ornent le
Palais du Vatican? Le visage reprйsentй sur un trиs
ancien voile de tissu prйcieux semble кtre la rйponse.
Un voile pourtant tombй dans l`oubli, aujourd'hui.
L'image de ce voile a ceci de remarquable que, contrairement
aux autres reprйsentations du Christ, elle n`est pas une
crйation d`artiste mais une "vera icona", une
"icone vйritable". "Vera Icona",
c'est en effet le nom que beaucoup de chrйtiens ont donnй
а la sainte relique, dans les siиcles passйs.
Elle fut aussi appelйe "Sancta Veronica
Ierosolymitana" ("Sainte Vйronique de
Jerusalem") et les gens de la petite ville italienne de
Manoppello, oщ elle se trouve de nos jours, ont coutume
de l`appeler le "Volto Santo", le "Saint
Visage".
Longtemps,
le Volto Santo fut conservй dans l`ancienne Basilique
Saint Pierre de Rome, йrigйe au 4e siиcle
par l`empereur Constantin. Des foules de croyants ont pu le
contempler en ces lieux. En ordonnant la construction de la
nouvelle Basilique Saint Pierre, au dйbut du 16e siиcle,
le Pape Jules II avait prйvu une "Salle du Trйsor"
pour abriter la relique mais, lorsque les travaux s`achevиrent
sous la direction de Michel-Ange, celle-ci semblait avoir
йtй йtrangement oubliйe.
A propos du Volto Santo, le Cardinal Francesco Marchisano, Archiprкtre
de la Basilique, m`a йcrit dans une lettre du 31 mai
2004 que l`image avait „beaucoup pвli au cours des ans”.
En rйalitй, cette image si pвlie, dont il
n`existe d'ailleurs aucune photographie, est probablement une
rйplique, l`original semblant avoir disparue pendant les
travaux de construction de la nouvelle Basilique. Aujourd`hui,
la "Salle du Trйsor" n`abrite qu`un vieux
cadre vйnitien dont le verre de protection est brisй.
Ceux qui cherchent le visage du Christ sont dirigйs vers
la sacristie des Papes ou est exposй le portrait appelй
„Abgar d`Edessa”, rйputй кtre le plus
ancien de tous. Avec les ans, cette peinture sur toile exйcutйe
au tempera est devenue presque noire.
Avant
Rome, le Volto Santo se trouvait а Constantinople et,
avant encore, quelque part au Moyen-Orient. Un texte syrien du
6e siиcle, provenant de Kamulia en Cappadoce, le dйcrit
comme ayant йtй „tirй des eaux” et
„non paint par une main humaine”. Dиs son
arrivйe а Rome, les pйlerins affluиrent
pour le voir. Tandis qu'ils arboraient des branches de palmier
au retour de Jйrusalem et un coquillage en revenant de
Saint Jacques de Compostelle, ils s`en retournaient de Rome
avec des portraits miniatures du Christ qui йtaient
autant de rйpliques du Volto Santo.
Cette
sainte relique de la chrйtientй, devant laquelle
l`empereur de Byzance s`agenouillait chaque annйe, se
trouve aujourd`hui dans une petite йglise italienne de
l`ordre des Capucins, а Manoppello, dans la magnifique rйgion
des Abruzzes. Diaphane dans la lumiиre, sombre dans la pйnombre,
elle rйsiste aux siиcles, inchangйe. Elle
nous montre un visage barbu dont le nez cassй pourrait
кtre celui d`un prisonnier musulman d`Abu Ghraib et les
boucles de cheveux ceux, traditionnels, d`un juif orthodoxe.
La joue droite paraоt enflйe et la barbe est par
endroits arrachйe. Le front et les lиvres sont
mouchetйs de rose, йvoquant autant de plaies. Les
yeux grands ouverts rayonnent d'une paix intйrieure.
C`est lа un visage de compassion, sans colиre ni dйsespoir,
sans douleur mкme. Les lиvres entrouvertes sur les
dents semblent souffler un „ah” de satisfaction, comme
pour saluer une aube nouvelle.
L`image
du visage est a l`йchelle rйelle, sur une piиce
de tissu de 17 centimиtres sur 24, dйlicate et
transparente telle la plus fine soie. Il semble que le tissu
entier pourrait кtre contenu dans une coquille de noix.
Plutфt qu`une peinture, l`image йvoque une
diapositive; transparente а la lumiиre, gris
ardoise dans la pйnombre. A la lumiиre
artificielle, les reflets dorйs du tissu paraissent
donner relief et profondeur au visage, йvoquant une
vision de Gertrud de Helfta.
Les
paysans et les pкcheurs de la cфte Adriatique,
d`Ancфne а Tarente, rйvиrent le Volto
Santo depuis plusieurs siиcles. Ceux de Manoppello
racontent qu`il fut amenй par les anges, quatre siиcles
auparavant. Toutefois, le verre brisй dans l`ancien
cadre toujours exposй dans la Basilique Saint Pierre,
semble raconter une histoire plus mouvementйe. Une
histoire ayant а la fois des йlйments de
farce populaire, de roman policier, de tragйdie et de
nouvelle йvangile pour notre йpoque dominйe
par l`image.
Il
y a une dizaine d`annйes, les recherches du Pr. Heinrich
Pfeiffer (Universitй Grйgorienne de Rome), expert
en iconographie chrйtienne, йtablirent que le
Volto Santo est le modиle originel des anciens peintres
du Christ, tant en occident qu`en orient. Dйcouverte hйlas
dйdaignйe par les mйdias, le monde
universitaire et mкme par maints dignitaires de l`Eglise.
A son origine, il y avait une autre dйcouverte, quelques
annйes auparavant, par soeur Blandina Paschalis Schlцmer
de l`ordre des Trappistes. Celle-ci observa que les visages du
Volto Santo et du Saint Suaire de Turin paraissent identiques:
mкme format, mкme forme, mкmes stigmates. La
seule diffйrence est que, contrairement au Volto Santo,
le Saint Suaire prйsente l`image de plaies encore
sanglantes.
Par
ailleurs, les Professeurs Donato Vittore (Universitй de
Bari) et Giulio Fanti (Universitй de Padoue) ont йtabli
par examen microscopique que le tissu du Volto Santo ne
contient pas de pigments de peinture, semblant seulement avoir
йtй lйgиrement brыlй
а l`endroit des pupilles. Nonobstant, les sceptiques
continuent d`affirmer que l`image est trop claire et dйtaillйe
pour n`avoir pas йtй peinte: les dйtails des
yeux et des cils (invisibles sans le gros plan de la
photographie), des glandes lacrymales, des dents et des fins
poils de la moustache n`auraient pu apparaоtre sans la
main du peintre, disent-ils. Pour eux, le Volto Santo ne peut
кtre le modиle originel des portraits du Christ
mais seulement une copie parmi d`autres d`un modиle qui,
disent-ils, serait peut-кtre le Saint Suaire de Turin.
On
se pose rarement la question cruciale de la nature du tissu
constituant le Volto Santo. Ce ne peut кtre du coton, de
la laine ou du lin, tous trop йpais pour permettre cette
transparence quasi-immatйrielle. La soie mкme est
trop grossiиre. Ne voulant soumettre la relique aux mйthodes
destructives d`analyse de matiиre, les Capucins de
Manoppello ont dйcidй d`attendre que la science en
offre de nouvelles. Comme le dit avec raison le Pиre
Germano, gardien actuel du Volto Santo: „La science
progresse. Elle se dйveloppe rapidement et elle finira
par nous rejoindre.”
Dans
l`Evangile de Jean, l`Apфtre parle de deux piиces
de tissu dans la tombe du Christ, а Jйrusalem. Il
raconte que Simon Pierre et „un autre jeune homme” (probablement
lui-mкme) ont couru vers la tombe, а l`aube de ce
dimanche de Pвques: „Ils coururent tous deux mais
l`autre disciple courait plus vite et arriva le premier. Il
vit les voiles mortuaires abandonnйs mais n`entra pas
dans la tombe. Alors, Pierre arriva a son tour et entra. Il
vit que le voile ayant recouvert le corps йtait abandonnй
dans le dйsordre tandis que celui ayant recouvert le
visage avait йtй soigneusement roulй. Alors,
le disciple qui avait atteint la tombe en premier entra aussi,
vit et crut.” Pour les gens de Manoppello, c`est ce voile
ayant recouvert le visage du Christ qui se trouve aujourd`hui
dans leur ville.
Rome,
1er septembre 2004, aйroport de Fiumicino. Une lйgиre
brise de la proche Mйditerranйe rafraоchit
ce matin de dйbut d`automne. L`horloge du hall indique
7h35 lorsque le vol Alitalia se pose, en arrivance de Cagliari.
Bien que ne l`ayant vue auparavant, je reconnais Chiaro Vigo
lorsqu`elle paraоt. Avec ses ongles longs et pointus
tels des fuseaux, elle ressemble a une starlette d`un film de
Pasolini. Arrivant de sa petite оle sarde de
Sant`Antioco, elle est la derniиre tisseuse de byssus, hйritiиre
d`une longue lignйe et d`une tradition jamais
interrompues.
„Pour
notre peuple, le byssus est un tissu sacrй”, me dit
Chiaro dans la voiture. Je lui demande ce qu`elle veut dire
par „notre peuple”, son оle ne fait-elle partie de
la Sardaigne? Elle m`explique en riant que les gens de
Sant`Antioco descendent des chaldйens et des phйniciens,
qu`ils connaissent aujourd`hui encore d`antiques chants en
langue aramйenne. Ils font remonter leur art du byssus
а la princesse Bйrйnice, fille du roi Hйrode
et favorite de l`empereur romain Titus aprиs que ce
dernier eыt dйtruit Jйrusalem. Chiaro me
montra un faisceau de byssus brut. Dans la lumiиre du
matin, celui-ci avait des reflets dorйs йvoquant
des cheveux d`ange. L`or de la mer! Cette matiиre est
fabriquйe par une moule marine, la „pinna nobilis”,
а laquelle elle permet de s`accrocher aux rochers. Pour
la rйcolter, Chiara Vigo plonge dans la mer, chaque mois
de mai au moment de la pleine lune. Peignage, filage et
tissage permettent ensuite d`obtenir le prйcieux tissu.
Dans
l`antiquitй, le byssus йtait trиs recherchй.
Il en fut retrouvй dans les tombes des pharaons et
l`Ancien Testament en parle comme le tissu dont devaient
obligatoirement кtre faits les tapis du „Saint des
Saints” ainsi que l`”Ephod”, la tunique des grands prкtres.
Macйrй dans le jus de citron, le byssus prend une
teinte dorйe. Trempй dans l`urine de vache, il
devenait clair et brillant.
Nous
quittons l`autoroute pour rejoindre Manoppello. Soeur Blandina
nous attend sur la colline oщ elle vit, au-dessus de l'йglise
dans laquelle nous entrons tous. La relique nous apparaоt
au-dessus de l`autel, telle une hostie rectangulaire
opalescente. A travers le fin voile du Volto Santo chatoie le
reflet d`un crucifix accrochant les rayons du soleil qui
filtrent par les vitrages du choeur. Ayant gravi les marches
de l`escalier derriиre l`autel, nous voici devant le
saint visage et Chiara Vigo tombe a genoux: „Il a les yeux
d`un agneau… et d`un lion”, murmure-t-elle en se signant.
Puis elle s`exclame, en rйpйtant plusieurs fois:
„C`est du byssus, c`est du byssus!”. Elle dira n`en avoir
jamais vu d`aussi fin.
Plus
tard, elle m`expliqua que les fils du byssus pouvaient кtre
teints au pourpre mais que l`on ne pouvait les peindre.
"O Dio! O Dio mio…c`est du byssus!”, s`exclama-t-elle.
Nous pensions tous deux la mкme chose:
si le byssus ne peut кtre peint, le visage sur le
voile ne peut кtre une crйation d'artiste et
transcende donc tous les portraits existants…
(traduit
par Jбnos
Szrogh)