Succès
et échec
par Israël Shamir
15.09.2003
[Interview
accordée par Israël Shamir à M. Kostas Karaiskos,
rédacteur en chef de lhebdomadaire grec Antifonitis,
au sujet des Partitions territoriales, de lAscension des
juifs en Russie et du devoir de résister au sionisme]
Q: Cher
M. Shamir, après avoir travaillé de nombreuses années
comme écrivain et journaliste, vous surprenez, un beau
jour, tout le monde, par votre opinion hérétique
et audacieuse. Que sest-il passé ? Comment un écrivain
juif installé peut-il parler ouvertement du racisme de
lEtat dIsraël, du droit des Palestiniens à
résister et à retourner en Palestine, des crimes
américains en Irak, etc?
R: Il
ny a rien détrange à cela, dans les
moments critiques traversés par mon pays dadoption
le temple vivant de Dieu, la Terre sainte, cette charmante
et délicieuse sur de la Grèce, si semblable
au Péloponnèse ou à la Crète
puisque ce pays a été détruit sous nos yeux
par les forces armées démentes de Sharon. Ce quil
y a détrange, cest que je sois resté
calme jusquà aussi récemment. Mais linstinct
de survie fait de nous tous des couards, et de plus, lHomme
est optimiste par nature. Aussi longtemps que lenfant ne
pleure pas, nous naccordons pas beaucoup dattention
à son inconfort éventuel. Aussi longtemps que les
Palestiniens sont restés cois, on pouvait penser : «
Eh bien, sans doute, ils peuvent faire face, et donc le pays peut
faire face aussi ».
Mais lIntifada
fut le signal que ce peuple extrêmement pacifique et patient
est poussé vers une mort lente, et quavec eux la
Palestine est pour de bon condamnée. Javais limpression
que chaque balle tirée par larmée israélienne
tuait mes frères, et que chaque olivier brûlé,
chaque maison rasée, chaque église démolie
endommageait le tissu même de notre existence. Cela na
aucun sens de vivre, si notre terre est détruite : cette
vérité vaut partout. Les objections et les critiques,
au demeurant ô combien légitimes, ne suffisaient
plus.
Q: Votre
thèse sur le conflit israélo-palestinien est quil
ne peut connaître un terme quà la condition
que soit édifié un Etat unifié, garantissant
légalité à tous ses citoyens. Pensez-vous
que cette solution soit plus réaliste que le cadre de résolution
fondé sur deux Etats ? Quelles pourraient être les
premières étapes de la mise en application de la
solution que vous préconisez?
R: A en
juger à votre question, on croirait quil existe un
Israël et une Palestine séparés, que Shamir
voudrait unifier. Mais ce nest pas le cas. Nous avons «
un seul Etat », et nous lavons pratiquement toujours
eu. La Palestine nest demeurée partagée que
pendant un laps de temps très court à léchelle
historique : de 1948 à 1967. Mais, avant et après
cette parenthèse, nous (les différentes communautés
vivant en Palestine) vivions ensemble dans un seul beau pays situé
entre le Jourdain et la Méditerranée. Ce pays ne
peut être divisé, car il est trop exigu et ses habitants
vivent dans en étroite proximité les uns avec les
autres. De plus, sans les Palestiniens, la Palestine est morte.
Comme
Chypre avant la partition de 1974, nous sommes toujours un seul
pays, et lidée du partage de la Palestine est aussi
erronée que celle de partager Chypre. Aujourdhui,
alors même que les communautés chypriotes sefforcent
de se réconcilier, nous ne devons pas, au contraire, prôner
la partition de la Palestine ! Nous devons mutuellement tirer
les leçons de nos erreurs : la partition de Chypre na
rien apporté de bien aux Chypriotes, et nous ne devons
pas tenter lopération ici, en Palestine. Lénorme
tragédie du partage territorial entre la Grèce et
la Turquie, avec ses transferts de population, est la preuve vivante
quil sagissait dune mauvaise manière
de résoudre le problème posé.
A chaque
fois que je voyage en Méditerranée orientale, je
regrette profondément quil ny ait plus de Grecs
à Izmir (Smyrne), et plus de Turcs à Thessalonique
(Salonique). A Constantinople, les églises Sainte-Sophie
et Sainte Irène rappellent encore aujourdhui le passé
orthodoxe de la capitale byzantine, et les mosquées de
Rhodes pleurent leur gloire passée. Cette tragédie,
nous la vivons encore aujourdhui, car les Grecs représentaient
un élément important et dirigeant dans lEmpire
ottoman, successeur des Byzantins. Les Turcs étaient des
soldats et des bergers, les Grecs incarnaient lEtat et le
commerce. Une pièce de monnaie a été frappée,
en 1455, à Constantinople ; son côté face
porte linscription « Mehmet, Sultan des Croyants »,
en arabe, et son côté pile porte, en grec, linscription
: « Mehmet, Empereur des Orthodoxes. » LEmpire
ottoman était à limage de cette pièce
de monnaie, et sous la direction des guerriers turcs et des ministres
grecs, il assura la paix et la prospérité en Méditerranée.
LOccident, jaloux de ses succès, semploya à
les saper.
De la
mise à sac de Constantinople (par les Croisés),
en 1204, à lincendie de Smyrne, en 1921, lOccident
impérialiste a tenté de désintégrer
notre belle Méditerranée orientale, et finit par
y réussir. De la partition gréco-turque surgit Mustafa
Kemal Atatürk, et sa politique brisa (pour un temps) lesprit
des Turcs, en faisant deux les instruments de lAmérique,
en leur interdisant dadorer Dieu et même de revêtir
leur costume national. La Grèce fut soumise par larmée
britannique durant de très nombreuses années. Les
Grecs représentaient la réelle force dynamique de
lEmpire ottoman. Dans leur Etat indépendant, ils
sont au service des touristes occidentaux.
Rétrospectivement,
on comprend que le dépècement de lEmpire ottoman
a été une erreur extrêmement coûteuse,
dont nous devons encore acquitter le prix. Le partage de Chypre,
le partage de lIrlande, le partage de lInde
autant de partages imposés par lOccident impérialiste,
qui, tous, ont conduit au désastre. Assez ! Pour moi, le
partage de la Palestine doit être absolument évité,
et les vrais problèmes résolus en promouvant légalité,
la démocratie, lamour de notre pays et de sa joie
de vivre. Sans doute le non-partage de la Palestine marquera-t-il
un tournant dans lhistoire de lHumanité.
Q: Vladimir
Guzinski, baron des médias russes, a été
arrêté à Athènes et son extradition
vers la Russie est imminente. Dautres membres immensément
riches de la communauté juive de Russie sont également
poursuivis par la justice (Berezovsky, Khodorkovski), et dautres
encore restent en bons termes avec Poutine et les autorités
russes (Abramovitch, Chubais). Vous êtes né et vous
avez travaillé en Russie, vous connaissez ce pays et sa
culture. Comment expliquez-vous le pouvoir illimité qui
sest trouvé rassemblé entre les mains de certains
juifs après 1989 ? Pensez-vous que Poutine soit en train
dimposer certaines limites à leur pouvoir, ou bien
est-il simplement en train de faire un peu le ménage?
R: Lascension
des juifs dans la Russie post-soviétique est un phénomène
absolument stupéfiant. Six, sur sept, des hommes les plus
riches en Russie sont juifs, et ils sont extrêmement influents
dans les médias, dans la banque, dans le contrôle
des ressources naturelles. Il nest pas facile dexpliquer
pourquoi Chernoy, simple comptable juif de Tashkent, qui percevait
un salaire mensuel de cent roubles, est devenu le propriétaire
de toute lindustrie de laluminium en Russie!
Une explication
cependant existe : elle est dessence religieuse. Lorsquils
sont riches, les Orthodoxes en conçoivent un sentiment
de honte. Ils se souviennent de la proportion entre une aiguille
et un chameau. Ils savent que les riches sont rarement des gens
honnêtes. Ils sont honteux du pouvoir, car on leur a enseigné
: les derniers ici, seront les premiers, dans lau-delà.
Cette qualité du christianisme orthodoxe a été
en partie héritée par le communisme, cest
pourquoi le communisme a réussi, en Russie. (Il aurait
réussi en Grèce, aussi, mais lAngleterre a
écrasé les communistes au cours de la guerre civile
qui a immédiatement fait suite à la Seconde guerre
mondiale, dans votre pays).
Les juifs
non-réformés et les calvinistes nont pas de
ces inquiétudes. Ils recherchent le pouvoir, car lAncien
Testament leur dit : « Sois le maître de tes frères,
et ils inclineront le front devant toi ». Ils sont persuadés
que la richesse matérielle est un signe de bénédiction.
Cest la raison pour laquelle ils sont prêts à
semparer de tout ce qui leur tombe sous la main. Sur un
registre moins religieux, je citerai Victor Pelevin, un écrivain
russe contemporain:
«
Dans des temps troublés, un homme rusé et sans scrupules
sen tire mieux quun homme honnête, car il sadapte
très rapidement aux changements. A un certain niveau de
malhonnêteté et de rouerie, on prévoit les
changements à venir très à lavance,
et lon sadapte dautant plus rapidement. Les
pires voyous sadaptent aux changements avant même
quils ne se produisent dans la réalité. Ces
pires voyous sont le moteur du changement, car ils ne se contentent
pas de prévoir lavenir : ils lui donnent forme. Ces
voyous sans scrupules, éhontés et arrivistes convainquent
les autres que leur prévision est correcte, après
quoi le changement peut survenir. » [i]
En dautres
termes, le « succès » dun groupe au détriment
des autres est un signe de son absence de scrupules. Mais, de
manière plus pragmatique, les juifs russes doivent leur
succès à leurs relations étroites avec les
juifs américains. Quand les juifs américains sont
entrés dans le grand jeu du partage des dépouilles
de la Russie, ils avaient besoin dassociés locaux,
et les juifs russes étaient disponibles, pour jouer ce
rôle-là. Ainsi, cette prééminence des
juifs russes est encore pire quelle ne paraît, car
les prééminents sont extrêmement pro-américains
et pro-capitalistes. Ils soutiennent la domination occidentale,
ils combattent lEglise orthodoxe russe, et ils prônent
ce quils appellent la « modernité »,
ce mélange toxique à base de CNN, de MTV et de FMI.
Ils jouissent
du soutien de juifs américains très influents. Khodorkovsky
bénéficie du soutien de juifs influents aussi différents
entre eux et mutuellement hostiles que Richard Perle et George
Soros. Le New York Times du 23 juillet dernier rapporte, de Moscou
: « Lorsque le conseiller politique clé à
Washington, Richard Perle, sest assis en face dun
analyste politique russe éminent, cette semaine, au cours
dune réunion très importante, il a prodigué
le conseil non sollicité suivant : « Laissez tomber
la compagnie pétrolière Yukos, le géant russe
de lénergie, laissez-la aux prises avec ses juges,
dans le bras de fer judiciaire actuel. » (Yukos désigne
Khodorkovsky). Charles Grand, un homme de Soros, a écrit
: « Aujourdhui, en termes purement utilitaristes,
Khodorkovsky est un agent du Bien, en Russie. Il apporte son soutien
direct et indirect à beaucoup dorganisations et dindividus
qui sefforcent délever les standards du capitalisme,
de la société civile et de la démocratie,
en Russie. Il veut rendre la Russie plus occidentale, ce qui est,
de mon point de vue, ce dont elle a le plus grand besoin ».
Quand
Poutine a pris des mesures à lencontre de Gusinsky,
le New York Times de Sulzberger a exhorté à «
défendre la liberté de la presse indépendante
» - autre nom de code pour désigner la presse détenue
par des juifs et lon sait bien que le New York Times
na jamais défendu Zavtra ni les autres médias
russes dopposition.
Mais les
juifs ordinaires, je devrais plutôt dire les Russes dorigine
juive et ils sont des millions cest une autre
histoire. Je les rencontre : ils sont professeurs de musique,
journalistes, économistes
; ce sont des gens normaux.
Ils rejettent le Nouvel Ordre Mondial et regrettent la chute de
lUnion soviétique. Même les oligarques sont
des gens normaux : Berezovsky sest converti au christianisme
orthodoxe, il a épousé une Russe, il soutient lopposition
nationale, et qui sait ? Peut-être a-t-il changé
sa manière de concevoir la vie? Il faut absolument rejeter
toute approche manichéenne : la réalité est
toujours plus compliquée que tous les schémas, toujours
trop simplistes.[i]: Plus un homme est rusé et malhonnête,
plus la vie lui sourit. Cela, précisément parce
quil shabitue plus rapidement que les hommes honnêtes
au changement. Il est un certain niveau de ruse malhonnête
qui permet à celui qui la atteint de prédire
les changements avant même quils ne se soient produits,
ce qui lui permet de shabituer à ces changements
dune manière significativement plus rapide que tous
les autres.
Les gredins
les plus raffinés se préparent aux changements avant
même que ces changements naient commencé à
se profiler. Mais il faut savoir que tous les changements, en
ce monde, se produisent exclusivement grâce à cette
bande de gredins sophistiqués. Car, en réalité,
ils ne prédisent nullement lavenir : ils le modèlent,
en rampant dans la direction à partir de laquelle, estiment-ils,
soufflera le vent. Après quoi, il ne reste au vent, naturellement,
dautre possibilité que de souffler de lendroit
de leur choix. On parle bien ici des gredins les plus ignobles,
les plus rusés et les plus éhontés qui soient,
et pourtant ils sont capables de convaincre tout le monde que
le vent souffle, précisément, de lendroit
vers lequel ils sétaient, quant à eux, discrètement
dirigés.