C’est la Turquie qui est la clé
par Israel Shamir
on Shamireaders, 25.06.2010
traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Une recette israélienne concernant les relations avec le
monde stipule : « Si la force ne marche pas, employez
davantage de force ! »
En Turquie, les bombes explosent dans tous les coins ; l’on
assiste à une épidémie à grande échelle d’attentats et d’attaques terroristes.
Pratiquement tous les jours, des soldats et des civils turcs sont tués. Ces
tueries sont ostensiblement le fait des terroristes kurdes du PKK, mais ce n’est
là en réalité qu’un nouveau palier dans l’escalade de la guerre que mène Israël
contre l’indépendance turque. Encouragé par Israël, le PKK a étendu ses
opérations aux stations touristiques de la mer Egée et de la Mer Noire, si bien
que même Izmir est menacée.
Cela fait des années que les Israéliens arment, entretiennent et
entraînent les terroristes kurdes ; ils ont fait du Kurdistan irakien leur nid
d’aigle où beaucoup de businessmen israéliens font des affaires dans l’attente
que le pétrole de Kirkuk coule à flots vers Haïfa, comme c’était le cas à
l’époque de la colonisation britannique (le pipeline existe encore ! ndt). Les
Kurdes sont depuis des lustres les agents dormants d’Israël dans la région ;
leur activation en ce moment précis indique qu’Israël a toujours la volonté de
donner une leçon aux Turcs.
La principale publication néoconne américaine,
frontpagemag.com, a appelé ouvertement à soutenir les Kurdes [http://frontpagemag.com/2010/06/24/turkeys-deception/]
pour punir la Turquie de son soutien à la Palestine. Une autre boîte à idées
juive de droite parle de la mobilisation du Congrès américain pour condamner la
tragédie arménienne vieille d’un siècle [http://blog.heritage.org/2010/06/21/congressmen-talk-turkey/]
en tant que moyen pour saper la Turquie. Après des années d’alliance avec la
Turquie, le Lobby juif a décidé, désormais, de changer d’alliances et de
soutenir les allégations arméniennes. Ainsi, la Turquie se retrouve aujourd’hui
attaquée de tous côtés. L’on aurait pu s’y attendre, le slogan populaire
israélien disant : « Si la force ne marche pas, utilise davantage de
force ! »
C’est déjà cette ineptie qui fournit l’explication du Massacre
de la Flottille, le 31 mai 2010. L’attaque contre le Mavi Marmara allait être un
choc très bref et extrêmement violent, qui allait être asséné à des Turcs de
plus en plus émancipés. Les Israéliens entendaient les terrifier et les effrayer
afin qu’ils se soumettent ; c’est la raison pour laquelle ils ont donné l’ordre
d’un bain de sang à bord du Mavi Marmara. Comme nous le savons aujourd’hui, les
commandos israéliens ont commencé à tirer bien avant d’avoir été confronté à une
résistance quelconque. Ils n’avaient pas l’intention de faire ‘comme si’ : ce
qu’ils recherchaient, c’était une reddition totale. Ce massacre n’est en rien le
résultat d’un effet de surprise ou d’une erreur de calcul : il s’agissait d’une
attaque ouverte contre la Turquie.
Le conflit d’Israël avec la Turquie n’est en rien une
conséquence malheureuse de ce raid meurtrier. La confrontation entre les deux
pays était devenue aigue deux semaines avant le massacre du Mavi Marmara,
exactement le 17 mai. Conjointement avec le Brésil, la Turquie avait en effet
mis au point et signé la Déclaration de Téhéran sur un marché d’échange de
combustible nucléaire avec l’Iran assiégé. Cette déclaration était susceptible
de faire échouer les projets américano-israéliens de sanctionner à mort l’Iran,
avant de le bombarder.
Israël veut que l’Iran soit détruit ; tout autant qu’il voulait
que l’Irak soit démoli, que Gaza soit affamée et que les autres soient
domestiqués. Cet accord de troc sapait toute la logique présidant aux sanctions.
Tout le complot des lobbyistes israéliens aux Etats-Unis et en Europe venait
d’être balayé en un instant. C’est bien comme aiment à le répéter les
musulmans : « Ils complotent, soit… Mais Allah est le plus fort de tous les
comploteurs ! »
Israël a reçu la nouvelle de l’accord turco-irano-brésilien
comme une véritable gifle. « Nous avons été eus par ces rusés de Turcs et
d’Iraniens », disaient les manchettes des quotidiens israéliens. Holà : pas si
vite ! Le Département d’Etat américain a minimisé l’étendue des dégâts, posant
la question rhétorique : « Qui en a quoi que ce soit à cirer, de ce que ces
pouilleux signent ou non ? Si nous avons décidé de bombarder quelqu’un, nous le
bombarderons ! Nous ne permettront jamais que des faits nous désarçonnent. »
[http://www.haaretz.com/news/international/u-s-turkey-brazil-fuel-swap-deal-with-iran-is-too-little-too-late-1.292815].
Dans le New York Times, Thomas Friedman fit part de son
désarroi, se demandant « pourquoi l’on permettait à un négationniste de
l’Holocauste de continuer à vivre » : [http://www.nytimes.com/2010/05/26/opinion/26friedman.html].
Ignorant royalement cet accord, le Conseil de Sécurité a
approuvé les sanctions le 9 juin. Soit achetées, soit menacées de chantage,
Moscou et Pékin les votèrent. La Chine a préféré jouer le jeu, afin d’éviter une
confrontation au sujet de la Corée du Nord. L’histoire d’une vedette
sud-coréenne coulée fournissait un prétexte à une guerre contre la Corée du
Nord, et une telle attaque aurait causé énormément de dégâts à la Chine. Les
Chinois, par ailleurs, sont vulnérables aux immixtions occidentales au Xinjiang
et au Tibet.
Quant aux Russes, ils ont reçu de beaux cadeaux : l’Ukraine est
rentrée au bercail russe, la Géorgie a été marginalisée, le nouveau traité sur
les armes nucléaires s’avère plus favorable aux Russes que ce à quoi ils
auraient pu rêver. En même temps, Moscou a subi un grave attentat terroriste
visant à rappeler aux Russes la capacité de leurs ennemis à semer le trouble.
Mais rien n’y fit : la Turquie vota contre les sanctions, confirmant son nouveau
rôle régional de nouveau pivot solide du Moyen-Orient.
Le conflit entre la Turquie et Israël n’a certes pas commencé
avec le troc iranien : il a commencé bien avant, en janvier 2010, lorsque le
vice-ministre israélien des Affaires étrangères Dani Ayalon invita l’ambassadeur
turc afin de l’humilier publiquement
[http://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3833259,00.html].
Pour se moquer de l’Oriental qu’est l’ambassadeur Chelikkol, on lui offrit un
siège moins haut que le fauteuil d’Ayalon. Ayalon refusa de serrer la main de
l’ambassadeur et dit aux journalistes, en hébreu, tandis que les caméras
filmaient : « Nous souhaitons montrer qu’il doit s’asseoir plus bas (que nous)
et qu’il n’y a qu’un seul drapeau sur la table : le drapeau israélien ».
Mais le conflit a peut-être même commencé voici de cela un an [http://www.nytimes.com/2009/01/31/world/europe/31turkey.html],
en janvier 2009, lorsque le Premier ministre turc Recep Erdoğan avait quitté la
scène du Forum Economique Mondial, à Davos. Erdoğan avait été choqué par la
tentative d’un modérateur occidental de couper sa réponse au président israélien
Shimon Peres qui venait de justifier ses massacres de masse à Gaza.
Il a peut-être même commencé en septembre 2007, au moment où les
avions israéliens avaient survolé le territoire turc pour aller bombarder la
Syrie sans même en demander la permission à la Turquie…
A moins que ce ne fût encore avant, c’est-à-dire au moment où la
Turquie s’est mise à affirmé son indépendance en remisant au galetas l’idéologie
élimée, vieille d’un siècle, du kémalisme ? Le nationalisme séculier de Mustafa
Kemal Atatürk fut un piège, pour l’ancien Empire (ottoman). Après tout, la
brutale Turquie kémaliste n’avait nulle raison dirimante d’appartenir à l’Otan,
d’être l’ennemie des Arabes et des Iraniens, d’être un client docile des
Etats-Unis, un allié loyal d’Israël et un persécuteur des Kurdes.
Le temps est venu de remercier les Européens pour avoir fait
(sans doute à leur insu) ce qu’il fallait pour réformer la Turquie. Au cours des
ses négociations interminables avec Ankara, l’Union européenne n’a cessé, en
effet, d’exiger que l’armée turque relâche son emprise sur le pouvoir. Sans
cette gentille persuasion de la part de l’Europe, la Turquie serait toujours
gouvernée par un de ses généraux sionistes ou par un civil désigné par ses
généraux sionistes. Le peuple ayant été libéré de la chape de plomb de l’armée,
les Turcs en avaient fini avec leur laïcisme violent et ils avaient renoué à la
fois avec l’Islam et avec leurs voisins.
Je suis allé en Turquie à Noël, et j’y ai rencontré les
militants qui se préparaient à mettre le cap sur Gaza. La Turquie est prospère :
il n’y a pas de crise économique, la croissance est continue, la paix a été
conclue avec les Kurdes, une tentative courageuse de faire la paix avec les
Arméniens a été engagée et le pays connaît un équilibre parfait entre la libre
pratique religieuse et les libertés des citoyens. Celui qui veut prier peut
aller le faire dans une moquée ottomane magnifiquement restaurée, et celui qui
le veut peut aller dans un café et déguster un vin turc excellent. Les filles ne
sont pas obligées de porter le voile, ni de se couvrir les épaules.
« Nous avons perdu la Turquie ! », a dit le secrétaire d’Etat à
la Défense Roberts Gates [http://spectator.org/archives/2010/06/14/who-lost-turkey-not-europe/],
accusant l’Union européenne de refuser d’admettre la Turquie en son sein. Mais
nous devons remercier les Européens pour leur refus. Nous ne le voulons pas,
nous, que la Turquie entre dans l’Europe ! La Turquie, nous en avons besoin !
Pour nous, pour notre région ! Pas touche à notre Turquie, s’il-vous-plaît !
Un nouveau projet grandiose est dans l’air : il consiste à créer
une Union du Moyen-Orient qui serait le pendant régional de l’Union européenne.
Cette Union est la véritable place de la Turquie : elle doit être à la tête de
cette nouvelle formation. D’une certaine manière, cela sera une restauration de
l’Empire ottoman, de la même manière, mutatis mutandis, que l’Union européenne
est un remake de l’Empire de Charlemagne. A la différence près que l’Europe a
été fragmentée durant des siècles, alors que notre région est restée unie
jusqu’en 1917 ! Même si une union politique totale est sans doute une
perspective lointaine, il est bon de nous mettre en mouvement en direction de
cet objectif.
Il existe déjà trois traités commerciaux entre la Turquie et ses
voisins arabes ; la dimension spirituelle est bien là, car Istanbul fut le
dernier siège du Califat. Aujourd’hui, la Turquie peut instituer un Tribunal
International régional pour traiter des problèmes de la région, et notamment les
excès sionistes. L’Europe, quant à elle, ne s’est pas encore libérée de
l’emprise sioniste, c’est pourquoi la Cour Internationale de Justice et le
Tribunal International de La Haye ne sont pas idoines pour juger les criminels
sionistes. De plus, leur localisation actuelle rappelle le monde
européocentrique d’hier. Un Tribunal régional pourrait aussi s’occuper de
manière convaincante des criminels de guerre en Irak occupé et dans d’autres
pays du Moyen-Orient. De grands juristes, tels que Richard Falke et le juge
Goldstone pourraient être invités à y siéger.
La création de ce Tribunal International (pour l’Orient)
représenterait un pas décisif et réaliste vers une véritable décolonisation de
la région et vers son unification future dans une Union du Moyen-Orient.
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