Obama n'a pas envahi le
Honduras
par Maria Poumier
[Une formule s'est répandue dans nos réseaux,
à propos de la tentative de coup d'Etat au Honduras: "Obama's
first coup d'Etat". Je renvoie bien sûr à l'analyse de Shamir
sur ce qu'Obama a réussi à faire au Moyen Orient, dans son
article "Tout est bien qui finit bien".
<http://plumenclume.net/textes/2009/Israel/Shamir/bilan-iran-220609.htm>
après "Et l'oscar va à Obama"
<http://plumenclume.net/textes/2009/USA/obama-shamir-130609.htm>
. Pour ceux qui n'aiment pas Shamir, je m'abstiens dans ce
qui suit de reprendre ses arguments, en voici d'autres. ]
Que vaut l'hypothèse qu'Obama soit dans le
coup, qu'il ait vraiment voulu chasser le président Zelaya de
son poste à la tête du Honduras, alors qu'il y est populaire?
C'est gros comme une montagne! C'est très probablement le lobby
sioniste neo-con de Miami, avec leurs gros sabots et leur
héritage de tous les coups bas faits par les US en Amérique
latine, et ils veulent naturellement faire porter le chapeau à
Obama. Les putschistes veulent empêcher bien sûr la contagion du
Salvador (pays limitrophe du Honduras), où un président de
gauche, issu de la guerrilla des années 1980, et homme respecté
par TOUS, a été élu démocratiquement, et vient d'entrer en
fonctions.
Ceci a été salué comme un évènement d'une
portée continentale, et absolument positif sur le plan de la
consolidation de chaque nation, par David Escobar Galindo,
penseur salvadorien de droite, dans la
conférence qu'il a donnée à la Maison de l'Amérique latine à
Paris. On cherche encore en vain, en France, un penseur de
droite ou de gauche capable de la même générosité, normal.
Obama n'a rien à gagner dans l'opération
ratée pour chasser Zelaya, qu'on est venu jeter de chez lui en
pyjama à l'aube, comme on les marines l'ont fait pour chasser
Aristide en Haïti en 2004, alors que Chavez et Fidel saluent
avec enthousiasme la "chavization d'Obama", c'est à dire de
celui qui nationalise autant qu'il peut chez lui; et ils ne sont
pas nés de la dernière pluie... Chavez est le premier qui a
déjoué un coup d'Etat made in USA, en 2002, il sait comment ça
se passe, et qui ficèle ce genre de cadeau piégé....
Tous les gouvernements, y compris celui
d'Obama, mais aussi, dans le sillage de Cuba et du Venezuela,
l'ONU et
l'OEA, rejettent le coup d'Etat. C'est unanime, et rare.
Un
analyste cubain l'interprète comme le signe d'une perte de
contrôle total, de la part des instances impériales américaines,
en pleine décadence. Même les Cubains de Miami n'osent pas
revendiquer le soutien à Micheletti le putchiste! Après l'échec
à téléguider une guerre civile en Iran, en partie à cause du
sang-froid d'Obama, c'est la débandade pour les faucons de
l'empire, ils ratent tout! Eliades Acosta Matos nous invite à
relire, de Montesquieu, Les causes de la grandeur et de la
décadence de l'empire romain. Ne boudons pas notre plaisir!!!!
Le monde entier considère que les USA impériaux sont gravement
atteints. Seuls les troupeaux de Sarkozy croient encore à la
solidité de l'hégémonie occidentale. Et dans
Le Monde, Aymeric Janier nous rend compte de la quantité
d'analystes USiens qui encouragent Obama à refuser toute
opération putchiste-bushiste, parce qu'ils savent que les USA ne
peuvent que perdre à ce petit jeu désormais périmé, grâce à
Chavez, le bolivarien qui libère et fédère effectivement le
continent, mine de rien.
Ce que l'on sait, sans aucun doute, c'est que le pouvoir d'Obama
est très limité. Ni la CIA ni le Pentagone n'ont envie de lui
obéir. Tous les néocons et racistes des US sont décidés à le
couler. Et tous les sionistes démocrates aussi, s'il fait le
moindre geste indiquant qu'il essaye de secouer le joug. Si un
capital juif très important l'a porté au pouvoir, c'est parce
qu'ils voyaient en lui un esclave soumis.
Je dis qu'Obama a une dimension qui a échappé
aux calculs des promoteurs d'images qui croyaient pouvoir faire
de lui simplement une matière première pour leurs manigances.
Cette dimension, c'est l'envergure mondiale du personnage.
Contrairement à Bush et aux USiens en général, il sait que les
US ne sont pas le centre du monde; il n'a pas ce provincianisme
catastrophique des gens qui ne sont jamais sortis de chez eux
(dominant chez les antisionistes français de droite, héritiers
de l'antisémitisme traditionnel de la "vieille France"). Obama
connaît et apprécie les analyses des musulmans noirs,
ses rapports avec son pasteur Jeremiah Wright ont assez fait
jaser... Il a réellement, par son père, un pied dans
l'Afrique profonde et réelle, et l'Afrique reconnaît en lui
l'esprit africain, le pôle opposé à l'hybris blanche, toute
scintillante qu'elle soit dans ses oripeaux de science et de
technologie. Et l'hybris blanche sous estime toujours
l'autonomie de la pensée noire. Mais les gens traités en
esclaves savent toujours faire le mort quand le rapport de force
l'exige, et ils laissent les maîtres se croire les maîtres,
quand ça les arrange ...
Obama connaît donc son rôle: celui d'un
arbitre, pas seulement américain, mais mondial, dans une arène
terrible, globale et locale, identique quelle que soit
l'échelle, celle des affamés (et assoifés de justice) et des
gavés (et dévorés par la vanité de leur supériorité apparente).
Il a la légitimité d'un roi, parce que le monde entier a reconnu
en lui l'aboutissement aussi heureux qu'inespéré des chocs
ethniques qui ont fait l'Amérique; son ascension, c'est celle de
l'esprit par delà les méfiances et les rancunes, et il y a une
convergence mondiale populaire autour de lui. Il est un roi
reconnu comme tel, comme manifestation du "droit divin" qui
fonde toute élection par la majorité, quand l'occasion est
donnée à celle-ci d'exprimer une volonté de création.
Il est classique que les intellectuels soient insensibles ou
allergiques à ces phénomènes, parce qu'ils se targuent de ne
prendre au sérieux que ce qu'ils peuvent rationaliser, ce qui
s'adapte à leurs moules conceptuels. Mais il y a un fossé entre
l'esprit critique dont nous faisons profession et la dynamique
du coeur, qui est celle du peuple, et de la créativité qui,
heureusement, existe, et fait que l'humanité respire encore.
Obama a été plébiscité par LES peuples du monde entier, et il le
sait. Il est donc déchiré entre deux rôles possibles: être le
Chavez du nord, le populiste que les élites vont essayer
d'abattre par TOUS les moyens, rôle que lui dispute Ahmadinejad,
dont la popularité est également immense, et l'autre rôle, celui
qui était prévu par le scénario, l'instrument modernisé de
l'empire bête et méchant de toujours, misant sur les ruses de la
séduction, les révolutions maquillées de toutes les couleurs et
télécommandées etc.
Manuel de Dieguez, un intellectuel hypercritique, et un
pessimiste lucide, voit le destin d'Obama comme celui d'un
nouvel Hamlet,
<http://plumenclume.net/textes/2009/USA/obama-dieguez-010609.htm>
, qui ne peut finir que tragiquement, parce qu'il n'a pas la
force de calmer à la fois sa mère folle de pouvoir (l'empire) et
le fantôme de son père (l'exigence d'éthique en politique).
Personnellement, je refuse de jouer le rôle classique, celui de
la "trahison des clercs", dont l'esprit critique est capable de
tuer, par le dénigrement, les efforts héroïques de ceux qui
déjouent leurs schémas. Nous savons tous, comme Manuel de
Diéguez, que Obama sera assassiné, est assassiné en ce moment
même, a déjà été condamné à mort par les néocons qu'il a
chassés, et les néo-moins cons qui l'entourent aussi. Notre
devoir est de démasquer les coups qui lui sont portés, non pas
de rajouter nos banderilles pour la mise à mort.
Il faut maintenant mettre en lumière les
efforts d'Obama pour instaurer la loyauté dans ses rapports avec
l'Amérique Latine, comme il a essayé de le faire au Moyen Orient
en refusant les minauderies de Netanyahu et Sarkozy. Il faut
aller dans le détail, et il est probable qu'Obama n'a pas encore
beaucoup potassé le dossier; mais déjà, la tronche que faisait
Uribe, le président colombien, à côté de lui, ces jours-ci, est
un bon indice. Obama lui a dit qu'il était
hors de question de briguer un troisième mandat! La claque,
pour le président le plus vendu aux neocons!!!!!
Un roi peut être un bon roi si le peuple le
soutient et le pousse dans la bonne direction. Il ne peut rien
faire si les intellos dressent le peuple contre lui:
l'opposition à Zelaya essayait de faire monter cette
mayonnaise-là. C'est un remake: ils ont failli réussir l'année
dernière au Nicaragua voisin, où des conspirateurs
professionnels ont voulu
dresser les intellos de gauche autour du poète et religieux
Ernesto Cardenal contre le président Daniel Ortega, également de
gauche). Si les intellectuels de gauche enfoncent un
président qui noue des liens avec Chavez et avec l'Alba, les
neocons ont gagné, sans se montrer!!!!! (c'est la tentative
contre Ortega, dans laquellel'écrivain portugais José Saramago,
celui qui fonce dans tous les panneaux, a été le premier à
marcher).
Zelaya nouait des liens avec Chavez et avec l'Alba: nous
applaudissons, bien sûr,et il a été impossible de le faire
dézinguer par les intellos, malgré le fait qu'il essayait de
modifier la constitution pour avoir droit à un second mandat, et
que le Congrès local a, apparemment, soutenu les putschistes, le
comble du ridicule pour des parlementaires.
Option de rechange: dresser toute l'Amérique
latine contre Obama. Et Eva Gollinger serait là pour accuser
Obama d'être le putschiste en chef? Shame on her! Son rôle
serait donc de pousser les intellos de gauche à casser toute
bonne volonté d'Obama envers l'Amérique latine de gauche?
Il semble que le titre qui a été collé sur son article "Obama's
first coup d'Etat" ne soit pas d'elle, heureusement! Au
lendemain de cet article, le 29 juin, Eva précise et reconnaît
qu'Obama
n'a pas encore pu prendre réellement les rênes des forces armées
de son pays...
Un roi n'a pas beaucoup de pouvoir; il a
celui de rassembler pour faire rêver, et donc créer. C'est
indispensable, cette puissance symbolique, pour évacuer l'enfer.
L'ère Bush a installé l'enfer partout. A nous de le défaire.
D'ores et déjà, les putschistes du Honduras ont été condamnés
par tous les gouvernements. C'est une opération néocon qui a
raté. Elle a raté parce que TELESUR, du Venezuela, a
immédiatement donné les images véridiques. Bonne nouvelle,
Chavez est en train de reprendre le contrôle des autres medias,
ceux qui dominent dans son pays, qui lui font une guerre
implacable.
L'opération au Honduras a été tellement mal
menée qu'on peut se demander si ses promoteurs n'ont pas
vraiment cherché à mettre une énorme peau de banane dans les
pattes d'Obama plutôt qu'à gagner quoi que ce soit en termes
d'ingérence dans la vie politique du Honduras. C'est mon analyse.
Elle est optimiste, parce qu'elle indique un certain degré de
panique dans la clique neo-con, qui ne sait plus quoi faire pour
reprendre le contrôle d'Obama et du monde. Elle est pessimiste,
parce que je vois d'ici les intellectuels de gauche, aveuglés
par leur prétention à être radicalement critiques, prêter main
forte à tous les racistes viscéraux se considérant supérieurs
par le qi, le nombre de résidences secondaires, la religion ou
la race, qui veulent la peau d'Obama, et qui veulent en plus que
ce soit nous, les antiracistes de gauche, qui leur préparions le
terrain.
Obama a une formule très forte: yes we can. Le Nicaragua en a
donné une autre, complémentaire, par la voix d'un des premiers
poètes anti-impérialistes de langue espagnole, Rubén Darîo, qui
a articulé son poème le plus important autour d'un seul mot: NO
!
Non, je ne participerai pas à la lapidation d'Obama. Non, je ne
crois pas que le monde soit réellement gouverné par les cyniques
neocons ni neononmoinsconsionistes. C'est non. En France, on
sous estime généralement, ou on fait semblant, la férocité
blanche, la profondeur du mépris blanc pour le nègre qui se
prétend un égal, ou même un chef d'Etat élu démocratiquement.
Quand on est de l'autre côté, qu'on a un un vécu de l'autre côté,
c'est différent. Et on perçoit les convergences de fond. Le jour
où Obama aura été éliminé, c'est "l'esprit de l'humanité", comme
s'appelle le bateau de soutien à Gaza (dans lequel
trône à juste titre l'ex-députée démocrate et noire Cynthia mac
Kinney), qui aura été poignardé. C'est aussi grave que ça.
Relisons les polémiques d'avant l'élection présidentielle aux
USA, pour retrouver l'envergure des haines autour de la personne
d'Obama. Je ne délire pas, non.
http://www.plumenclume.net/textes/2009/usa/obama-honduras-010709.htm
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